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La grande vadrouille

La grande vadrouille

Titel: La grande vadrouille
Autoren: Georges TABET , André TABET
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les jolis coryphées, appréciant en connaisseur le jeu des longues cuisses musclées.
    La maîtresse de ballet comptait « une, deux trois et quatre », se contentant de marquer la mesure à l’aide d’un gourdin :
    — Et l’appui sur le coup de pied, Colette ?
    — Dany, et le retour sur la demi-pointe ?
    — Qu’est-ce que vous avez aujourd’hui ? Vous dansez comme des sacs de pomme de terre… toutes ! Assez… La pause… vous me fatiguez ! D’ailleurs, on étouffe ici…
    Une danseuse, en deux bonds légers, s’élança vers une fenêtre et l’ouvrit toute grande. Une forte brise descendue de Montmartre s’y engouffra et claqua la porte au nez de Mac Intosh. Il s’éloigna avec regret.
    Au bout du couloir, il aperçut une poterne bardée de fer. Il s’y engagea.
    Il se trouvait maintenant sur les passerelles métalliques à claire-voie qui dominent et traversent l’immense scène de l’Opéra. Il eût pu se croire naviguant à l’intérieur de quelque vieille caravelle tant il était entouré de cordages de voiles et de mâts. Mais voilà qu’en bas, bien au-dessous de lui, la répétition d’orchestre de la Damnation de Faust vint le rappeler musicalement à la réalité terrestre. Les Anglais se complaisent volontiers dans des symboles marins. Mais le sort avait enrôlé Mac Intosh dans l’aviation plutôt que dans la Navy.
    Et, du haut de son promontoire, voici ce que découvrit le blond Britannique :
    Á la tête de la prestigieuse phalange musicale, qu’on a souvent comparée à une à une palette sonore, trônait le maestro Stanislas Lefort. Dès ses débuts, chef érudit rompu aux intrigues, il avait compris qu’on ne pouvait réussir dans le monde de la musique avec l’appellation patronymique banalement prolétaire de Jules Lefort, qui était la sienne. Il avait donc choisi Stanislas comme prénom et ajouté à son nom un WSKI, pour devenir Leforwski. Cela, espérait-il, lui conférerait une parenté polonaise et gratuite avec Chopin.
    Mais, en ces temps difficiles, la Pologne ayant été engloutie par ses voraces voisins, il avait laissé diplomatiquement tomber le WSKI et se faisait appeler tout bonnement Stanislas Lefort. Il était devenu musicalement chauvin et anglophobe, par opportunisme.
    Souvent, il déclarait en public sur un ton doucereux et servile : « Les Anglais n’ont jamais eu qu’un seul grand compositeur : Haendel… Et encore, il était allemand ! »
    Cette boutade lui valut de la part de l’occupant quelques faveurs condescendantes.
    Ce matin-là, agacé, de mauvaise humeur, il faisait répéter la Damnation. En bras de chemise, les cheveux d’argent (faux) en bataille, il pétrissait rageusement des deux bras la pâte orchestrale. Il avait l’œil partout. Il surveillait les cuivres à qui il donnait le signal d’assaut d’un index militaire déchaînant la foudre. Pour les violons, il avait des caresses subtiles, frémissantes de vibrato. Aux passages en « pizzicatti », il enlevait les notes pincées comme s’il arrachait un à un les cheveux de ses violonistes. C’était un méticuleux.
    Sous ces doigts experts s’exprimant en gestes dominateurs, l’orchestre électrisé, dompté, obéissait. D’une seule œillade hautaine, les cymbales éclataient. D’un seul regard embué d’émotion, les alti s’évanouissaient de langueur amoureuse.
    C’était un très beau travail : la lutte d’une volonté obstinée contre la force d’inertie bien connue de certains musiciens qui ne se réveillent et ne se mettent à aimer la musique qu’après certaines heures et sous certaines conditions.
    Pourtant, le maestro était vainqueur sur tous les fronts. Il se croyait tellement vedette qu’il avait fini par le devenir.
    Dans sa loge, ainsi que dans plusieurs pièces de son appartement de la Plaine Monceau, il affichait, encadré d’une moulure dorée Louis XVI, un grand article paru dans Le Figaro et signé Clarendon :
    « Dans les cinq continents, il poursuit sa trajectoire fulgurante d’astre lumineux, éblouissant le monde de la musique. C’est Jupiter ! Il faut le voir diriger. Il abaisse le bras, les yeux fermés, plein, déjà, de la partition qui chante en lui, et la baguette se met à frémir comme celle d’un sourcier. Car c’est bien la source des œuvres géniales qu’il va faire jaillir d’un seul signal. Bientôt, le petit bâton de peuplier entre dans la danse, découpant, festonnant le halo doré des
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