Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Gloire Et Les Périls

La Gloire Et Les Périls

Titel: La Gloire Et Les Périls
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
quoi manger. Nous eûmes quelque fil à retordre avec nos chevaux qui
hennirent et encensèrent à la vue des corps étendus, tant est que pour les
calmer nous dûmes démonter et les tenir par la bride. Cependant, les pionniers
de notre armée étaient déjà très activement à l’œuvre, enlevant ces mortelles
dépouilles pour les porter au cimetière et les y enterrer.
    J’eus quelque difficulté à trouver un habitant dont l’esprit
fût encore assez clair pour me bien entendre, et la voix assez audible pour me
dire où se trouvait la maison du maire Guiton. J’y parvins enfin, je toquai à
l’huis, et une chambrière chenue et chancelante, m’ayant chichement déclos, me
demanda qui j’étais.
    — Je suis, dis-je dans l’entrebâillement de la porte,
le duc d’Orbieu, et d’ordre du roi, j’ai affaire avec le maire Guiton.
    — Venez-vous arrêter Monsieur le Maire ? dit la
vieillotte d’une voix ténue, en tremblant comme feuille au vent.
    — Nenni, ma commère, dis-je. Monsieur Guiton ne sera ni
arrêté ni molesté ! Allez donc le quérir, ma commère, et sans tant
languir.
    J’attendis, en fait, davantage que je n’eusse voulu, Guiton
devant faire, j’imagine, « quelque toilette » avant de se présenter à
moi. Il parut enfin, le chapeau sur la tête, et l’ôta pour me saluer fort
respectueusement. Je lui rendis son salut, ce qui parut l’étonner beaucoup. Et
voyant que, tout vaillant qu’il fût, il paraissait fort troublé, je lui demandai
s’il trouvait bon qu’on s’assît, l’entretien devant être longuet. Il acquiesça
avec un évident soulagement, et il m’envisagea en silence. Je le regardai à mon
tour et, pour dire le vrai, j’aimai assez ce que je vis.
    Sa taille tirait un peu sur le petit, mais il me parut fort
robuste malgré quelque maigreur due au siège. Mais une maigreur qui était loin
d’aller jusqu’au squelette, ce qui prouvait qu’il faisait partie des Rochelais
prévoyants qui avaient fait d’amples provisions avant le début du siège. Sa face
était tannée et quasiment aussi noire que celle d’un Sarrasin, comme il est
naturel chez un marin qui a passé tant de jours en mer par tous les temps. Son
nez était gros et aquilin, sa mâchoire carrée, ses yeux d’un bleu d’acier, et
son regard ne devait pas être aisé à soutenir quand les circonstances lui
permettaient de laisser éclater son ire.
    D’évidence, ce n’était pas le cas ce jour d’hui, où la face
stoïque, mais sans piaffe ni défi, il attendait, de ma bouche, le verdict du
roi. Cette muette dignité me plut fort, je le dis sans ambages.
    — Monsieur, dis-je, voici les ordres que Sa Majesté m’a
chargé de vous transmettre. Il est coutumier, quand le roi visite une de ses
bonnes villes, que le maire de ladite ville se porte à sa rencontre. Le roi
désire que demain vous vous dispensiez de cette obligation et demeuriez chez
vous.
    — Monseigneur, il sera fait comme Sa Majesté le veut,
dit Guiton.
    — Le roi désire que votre garde de hallebardiers soit
dès aujourd’hui dissoute et les hallebardes déposées à l’hôtel de ville.
    — Ce sera fait, dit Guiton.
    — Le roi désire que l’assesseur criminel du Présidial
Raphaël Colin, emprisonné indûment par vous pendant le siège, soit dès ce jour
libéré de sa geôle.
    — Cela est déjà fait, Monseigneur.
    — Le roi estime que la responsabilité de la rébellion
contre son sceptre incombe à toute la ville de La Rochelle et non pas à vous
seul. En conséquence, pas plus que ceux des Rochelais, vos biens ne seront
confisqués, et vous ne serez ni arrêté, ni jugé. Cependant, après le département
du roi, vous devrez vous absenter de La Rochelle pendant une durée de six mois.
    — Serai-je le seul, Monseigneur ?
    — Non, Monsieur. Une douzaine de personnes partageront
ce bref exil, dont les pasteurs Salbert et Palinier. Demeureront donc en La
Rochelle six pasteurs en tout, et ils seront bien assez nombreux pour assurer
le culte pendant l’absence de ces deux pasteurs que j’ai nommés.
    — Monseigneur, dit Guiton après un silence, peux-je
vous prier de dire à Sa Majesté que je lui garde, et garderai jusqu’au terme de
mes terrestres jours, une infinie gratitude, pour l’émerveillable clémence
qu’il montre à l’endroit de ses sujets rebelles. Mes yeux sont dessillés. Je
vois clairement ce jour d’hui que La Rochelle n’a pu être vaincue que parce que
Dieu l’a
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher