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La Fille Du Templier

La Fille Du Templier

Titel: La Fille Du Templier
Autoren: Jean-Michel Thibaux
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centaines de toises, un effort qui, allié à la chaleur, fit
qu’elles arrivèrent épuisées sous les contreforts du Pilon de la Sainte-Baume. Sur cette partie sud de la montagne poussaient d’inextricables taillis.
    — Elle se terre où, cette Bête ? demanda Aubeline.
    Bérarde désigna un endroit à droite du Pilon.
    — Dans la grotte aux Œufs.
    — Dans la grotte du Dragon ! s’exclama sa jeune
amie.
    — Oui, confirma la Burgonde.
    Aubeline comprenait pourquoi personne ne l’avait débusquée. Aucun
être humain, depuis la disparition de sainte Marie Madeleine, ne s’était
aventuré dans cet antre profond qu’on disait habité par un monstre ailé, par un
sphinx, par un messager du diable, par une dévoreuse d’âmes. Les versions sur l’existence
légendaire de la Bête variaient d’un village à l’autre, d’une veillée à la
suivante. Le loup solitaire était donc sous la protection des forces du mal.
    Bérarde était descendue de cheval ; elle détacha sa
hache et se campa face au rideau d’épineux qui circonscrivait un bois de chênes
kermès. Ses narines palpitaient.
    — Que sens-tu ? lui demanda Aubeline en la
rejoignant.
    À cet instant, elle étouffa un cri : la Bête. Son cri se mua en plainte :
    — Sainte Mère de Dieu, venez à notre aide ! C’est
lui, c’est le Belzébuth !
    Bérarde lui fit signe de se taire. Elle-même n’avait jamais
vu d’animal pareil dans ses Alpes natales ou ici. Régulièrement, l’hiver, les
chasseurs rapportaient des dépouilles de loups. Les meutes infestaient la Provence. Certaines s’aventuraient jusqu’aux portes des grandes villes. Ce loup méritait d’être
appelé « la Bête » ; il paraissait surgir des flammes de l’enfer.
    Aubeline reprit son sang-froid, fit face à son amie et lui
intima l’ordre de rester en retrait.
    — Tu me le laisses !
    — Non, tu n’es pas de taille.
    — Je suis issue d’une lignée qui s’est illustrée au
combat au temps de Charlemagne, mon grand-père est mort sous les murs de
Jérusalem en sauvant la vie de Godefroy de Bouillon, son frère a tenu tête aux
Turcs en Arménie, mon père affirme qu’on descend du général Aetius qui écrasa
les Huns… Et tu me refuses le droit de prouver la valeur de mon sang ? Tiens-toi
derrière moi et n’interviens que si ce monstre prend le dessus.
    Bérarde acquiesça en grinçant des dents. Aubeline se prenait
pour un soldat de Dieu. Fille de templier. La belle affaire. Elle connaissait
la science des armes, elle avait affronté des hommes, occis un Barbaresque, mais
elle ne subissait pas le rigoureux entraînement du Temple, ne s’endurcissait
pas par les jeûnes et les prières. L’adversaire était de taille, rusé, féroce
et il ne connaissait pas la peur.
    Le loup ne bougeait pas. Aubeline pouvait l’observer à
loisir ; cent trente livres de nerfs et de muscles, un long corps de
carnassier aux poils gris tachés de touffes brunes et une gueule menaçante où
se concentraient des relents de mort.
    Lentement, elle ôta l’arc et le carquois qui la gênaient. Le
tuer d’une flèche dans l’œil tiendrait du miracle. Aubeline avança de cinq pas,
assurant dans la main droite le lourd épieu ferré et tâtant la gaine du
coutelas pendant à sa hanche gauche. Marcher vers l’animal sans trembler et
atteindre une position avantageuse. Ne jamais quitter son regard et respirer
calmement, voilà ce que lui avait enseigné son père le jour où elle avait eu l’autorisation
de participer à une chasse au sanglier. Elle avait alors onze ans et un épieu à
la mesure de ses petits bras frêles.
    D’acier… Je suis d’acier.
    Ce n’est qu’un loup, pas la Bête de l’Apocalypse.
    Je ne connais pas la peur. Je suis la fille d’Othon d’Aups !
    Elle progressa encore…
    Le loup ne bougeait toujours pas, la soupesant à son juste
poids, à sa juste valeur de femelle. L’humaine, étrangement, ignorait la peur. Au
contraire, il se dégageait d’elle des effluves agressifs. L’autre femelle, plus
grande, s’était aussi avancée. De cette dernière, rien ne transpirait. Elle
était tel un roc en mouvement. Laquelle des deux était la plus dangereuse ?
    Encore dix pas et je m’arrête à dextre de cette grosse
pierre.
    Les loups attaquaient de biais. En protégeant son flanc
gauche, Aubeline obligerait celui-ci à charger sur sa droite. Et puis il y
avait Bérarde derrière elle. La géante la couvrait à moins d’une toise.
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