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La Fille Du Templier

La Fille Du Templier

Titel: La Fille Du Templier
Autoren: Jean-Michel Thibaux
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Sa
hache accrocha un rayon de soleil dont le reflet flamboya sous le museau de l’animal.
    Dix pas. Vingt secondes qui s’égrenèrent comme des siècles. Une
goutte froide de sueur perla à son front. C’était une tentative de la peur. Elle
demeura ferme. La peur viendrait après. Elle s’autoriserait alors à trembler, à
crier. Au dixième pas, près de la haute pierre aux angles aigus, elle s’arrêta,
le regard fixe, tandis qu’elle répétait mentalement le geste idéal qui mettrait
fin à la vie de la Bête. L’attente corrodait ses nerfs. Elle ne sentait plus
ses muscles tendus. Elle était prête. Bérarde aussi.
    Les deux adversaires se faisaient face ; quatre toises
les séparaient ; deux volontés qui s’évaluaient, qui se heurtaient, deux
énergies qui puisaient leurs forces à l’origine des temps. Le loup décida de
rompre cet équilibre. Il inclina le museau et, sans quitter la femme des yeux, ramena
son corps puissant vers l’arrière.
    Aubeline sentit son estomac se nouer. L’animal allait lui
bondir à la gorge. Dans un instant, il lui faudrait mettre un genou à terre
pour ajuster la pointe de son arme sur le poitrail gris. Aubeline aiguisa dans
une immobilité de statue son instinct meurtrier. Elle effaça ses ultimes
faiblesses, se fit sauvage.
    Le poil du loup se hérissa ; il attaqua. Dans un
dégagement de poussière, yeux écarlates et crocs jaunes en avant, le fauve
bondit. L’haleine fétide de la gueule baveuse et l’odeur de l’urine séchée n’eurent
pas le temps d’écœurer Aubeline. Accrochée à la hampe de son arme, bandant tous
ses muscles, elle poussa le pieu entre les côtes et ressentit les spasmes de
mort qui se répandaient dans le corps empalé.
    Aubeline se releva, tremblante, tandis que l’ombre de la Burgonde s’étendait sur elle. Elles contemplèrent avec une infinie tristesse ce loup qui, pendant
tant d’années, avait fait courir les guerriers de toutes les maisnies
seigneuriales de la Sainte-Baume.
    Enfants, n’ayez plus peur, allez garder les brebis dans les
champs. La fille du templier, Aubeline d’Aups, a vaincu la Bête du diable. Voilà ce que diraient les braves gens à leurs petits, pensa Aubeline en
étouffant ses regrets d’avoir mis fin à l’existence de son loyal et libre
adversaire.
    — Dix marcs d’or, tu les as bien mérités. Ton père
aurait été fier de toi, fit Bérarde en soulevant la dépouille sanglante.
     
    Tout le long du Figaret aux eaux claires et chantantes, elles
rencontrèrent des paysans qui achevaient de sarcler les lopins en terrasses. Sur
plus d’une lieue, de petits troupeaux d’hommes et de femmes fouissaient, le dos
courbé, ramenant les mauvaises herbes entre leurs jambes. Les uns maniaient la
houe au long manche coudé et travaillaient l’argile de la lame dentée, les
autres plantaient dans le sol leur louchet échancré comme un bigot et
arrachaient la garance envahissante. Aubeline les encouragea de la voix ; ils
lui répondirent et poussèrent des cris de joie en voyant la Bête qui gisait sur le cheval de Bérarde.
    La Burgonde retroussait ses lèvres et un sourire animal
découvrait ses dents longues et blanches. Fière de son amie qui avait abattu le
loup. Fière d’appartenir à la maison d’Aups.
    Aubeline se félicitait d’avoir mis un terme à la terreur qui
tenaillait ces humbles gens luttant au jour le jour pour survivre. Elle prit
plaisir à voir s’agiter les blés verts, à entendre crépiter le feu dans les tas
de ronces et d’orties. Les collines, les vallées et la plaine besognaient, et c’était
un plaisir de les découvrir prospères. Plus de faim, plus de souffrance, le
terroir vivait au rythme des chansons des tailleurs d’oliviers, des jurons des
charbonniers, des cris des tailleurs de pierre et des rires des lavandières.
    Aubeline éclata de rire et cria :
    — La Bête est morte ! Que vive en paix le fief !
    La nouvelle allait se répandre au moment où le fief faisait
peau neuve, où l’espoir renaissait avec le printemps. Oui, le fief faisait peau
neuve en perdant les rejetons et les chicots de bois mort. Le fief de Signes
tirait sa puissance de ses sources et de ses mines, de ses forêts profondes et
de sa terre féconde. Le fief revivait depuis que la capture de saint Mayeul, abbé
de Cluny, avait engendré la guerre de libération contre les Sarrasins de
Fraxinet plus d’un siècle et demi plus tôt. En trois campagnes, l’armée des
volontaires
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