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La Fille Du Templier

La Fille Du Templier

Titel: La Fille Du Templier
Autoren: Jean-Michel Thibaux
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1
    Une fois de plus, Aubeline d’Aups avait fui la vieille
bâtisse fortifiée de Meynarguette, si vide depuis le départ de son père pour la Terre sainte. Mais c’était surtout ce siècle qu’elle aurait voulu fuir, où les puissants
opprimaient les faibles et où les hommes étaient pareils aux poissons de la mer
qui, pêle-mêle, s’entredévoraient.
    Aubeline avait ceint l’épée, pris l’arc et les flèches. Elle
avait refusé que Bérarde sa servante et amie l’accompagne sur les dangereux
chemins qui serpentaient dans la garrigue. Bérarde la muette, femme colossale
dotée d’une force herculéenne, avait continué à fendre du bois, marmonnant dans
sa tête de mule des malédictions contre Dieu et la Vierge Marie.
    Pour tenter d’apaiser sa colère, faisant des vœux et
réfléchissant à son avenir, Aubeline avait marché longtemps dans les collines, jusqu’aux
limites du pagus de Signes. Son père n’était plus là pour la faire rechercher
et la punir. Othon d’Aups, dans un excès de mysticisme, après s’être flagellé
publiquement dans l’église Saint-Pierre de Signes, avait révélé qu’il
rejoignait les rangs des templiers car il avait fait don des quatre cinquièmes
de ses terres et de la quasi-totalité de son or au Temple.
    Pauvre père, songea Aubeline en donnant un grand coup d’épée
à un arbuste. Elle l’imagina en train de réciter des patenôtres, treize en l’honneur
de Notre Dame, treize pour le jour. Il avait choisi la voie difficile des
moines guerriers. Elle connaissait bien son père, il suivrait bellement cette
voie jusqu’au bout. Il ne commettrait pas la faute de simonie ; ne tuerait
pas de chrétiens ; ne pratiquerait pas la sodomie entre frères ; ne
fuirait pas le champ de bataille de peur des Sarrasins ; n’irait pas à l’encontre
des articles de la foi enseignés par l’Église de Rome ; ne quitterait pas
le Temple pour rejoindre les infidèles. Othon d’Aups mourrait à coup sûr lors d’un
assaut. En cela, Aubeline l’enviait. Elle avait été élevée comme un garçon, formée
au métier des armes, mais elle n’en demeurait pas moins une femme aux yeux des
gens. Elle avait même quelques admirateurs qui cherchaient à la séduire. Brune
aux yeux noisette, elle possédait un visage agréable malgré un nez un peu épais.
Sa poitrine ronde et son fessier généreux attiraient bien des regards de
convoitise.
    Elle se fichait de tous les mâles en rut du pays. Elle était
libre pour le restant de ses jours car elle ne comptait pas se marier. À vingt
ans, elle avait passé l’âge d’unir ses pauvres terres à celles d’un nobliau du
coin. Son père ne l’avait jamais promise à quiconque. Il l’avait toujours
gardée jalousement après l’assassinat de son épouse. Aubeline ne se souvenait
plus de sa mère ; elle n’avait que deux ans lorsque celle-ci avait été
tuée au pont du Diable.
    Elle se tourna dans cette direction et frissonna. Puis elle
reprit sa marche, libre de faire bonne figure au vent et de traiter en égale
avec le soleil. Insensiblement, ses pas la portèrent jusqu’à la mare aux merles,
dans ce creux d’ombre perdu sous une haute table de roches blanches où venait
autrefois se reposer son père après une longue chevauchée. Ici tout était mélancolie
et mystère. Elle s’agenouilla au bord de ce miroir sans rides et regarda
pensivement sa trop belle image. Ses longs cheveux noirs effleuraient à peine
la surface sombre où apparaissait un visage d’une étrange beauté… Son visage !
Cet ovale de porcelaine brunie, ces yeux doux, son nez animal, sa bouche
renflée… Non ! Non ! se dit-elle, et ses doigts rageurs brouillèrent
l’eau pour effacer le reflet de sa féminité, sa faiblesse. En elle tempêtait sa
nature de garçon. Elle aurait tant voulu partir avec la deuxième croisade et
prouver sa valeur au combat. Elle était le meilleur archer de tout le comté. À Signes,
elle avait battu les soldats et les chevaliers les plus adroits, remportant le
coq d’argent remis par les dames de la cour d’amour. L’an passé, elle avait
fait scandale en défiant le seigneur d’Ollioules et en le blessant à la cuisse
d’un adroit coup d’épée.
    À quoi bon rêver de gloire sur les routes poudreuses de
Palestine ? Étant femme, elle perdait régulièrement son sang impur, elle
était faite pour mettre au monde des enfants avec des rustres plus propres à
saillir leurs brebis qu’à baiser ses
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