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La fête écarlate

La fête écarlate

Titel: La fête écarlate
Autoren: Pierre Naudin
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participer aux commençailles… On évite maintes courses dangereuses… Tu vois des morts, des blessés… Demain, après le tournoi, ce sera pis. Pour ce tantôt, en ce qui te concerne, affronte Charles d’Espagne. Cours tes trois lances, si le sort te le permet. Il ne doit pas être redoutable et, joutant contre lui avant toi, je ferai en sorte qu’il le soit encore moins… Puis reviens te mettre à l’aise auprès de nos amis… Je préfère que tu sois avec moi ce soir, solide et fort, qu’amoindri par un mauvais coup… Et ne me regarde pas ainsi : j’ai jouté. Je connais bien ces plaideries. Il n’y a que Blainville qui m’inquiète…
    – Et Guesclin ?
    – Mon père l’a dominé ; j’en ferai autant !
    Quelqu’un hurla ; c’était sans doute une amputation.
    – Un jeu horrible, dit Thierry, mais s’il faut y jouer pour être chevalier…
    Il s’interrompit. Du vermillon maculait les housses des chevaux que des palefreniers conduisaient au pré. Certains boitaient et leur odeur de sueur et de pissat était presque insoutenable. Des baves spumeuses leur pendaient à la bouche ; sous certaines parures déchirées, on pouvait voir les incisions sanguinolentes des éperons.
    – Un jeu d’hommes de guerre, Thierry. Et vois : eux aussi aiment à y jouer… modérément.
    Ils passaient devant les Teutoniques, assis sur leurs selles posées au sol, entourés d’une douzaine de serviteurs, sergents et moines. À nouveau, sentant peser sur ces chevaliers le poids d’un mystère composé de lucre et de sang, Ogier murmura :
    – Ils ont jouté pour plaire à monseigneur Fort d’Aux. Mais que font-ils depuis un mois qu’ils sont ici ?
    – Ils cherchent sûrement quelque chose… La foule, messire, devient nombreuse.
    Devant la mosaïque des visages et des coiffures alignés dans les tribunes, ce qui scintillait tant, c’était la mitre de l’évêque. Au premier rang de l’ambon central, réservé aux dames, Isabelle se reconnaissait à sa robe blanche. Blandine et sa mère devaient se trouver là. En quel endroit ? Champartel paraissant angoissé, Ogier avoua :
    – J’aimerais que cela commence, or, rien ne le donne à penser…
    Cette accalmie dans l’ordonnance des épreuves vrillait ses nerfs presque autant que du vacarme. C’était d’ailleurs un silence incomplet, une sorte de bourdonnement d’orage lointain d’où surgissaient parfois des cris d’hommes, des rires de femmes, des heurts de marteaux. Devant le pavillon du comte d’Alençon, trois seigneurs se préparaient, aidés par des varlets en livrée : le frère du roi de France, André de Chauvigny et un barbu au visage altier.
    – Ainsi, Cahors, dit Charles de Valois, vous tenez à courir contre moi…
    – Par pure courtoisie, monseigneur.
    Cahors : un traître. Kergœt avait été formel. Il se rendrait sans doute, lui aussi, la nuit venue, sous la maison du chévecier. Il riait. Sa gaieté sans respect surprenait les deux autres. À proximité, Passac s’enveloppait dans ses capitons de dessous, aidé par un jouvenceau portant une dalmatique aux couleurs d’Alix d’Harcourt.
    « Dommage que Tancrède soit loin : j’aurais eu grand plaisir à le molester devant elle ! »
    Plus loin…
    – Messire Ogier… Enfin voilà quelqu’un de bonne compagnie !
    Sur le seuil d’un pavillon de cariset (21) décoloré par l’âge, deux vieux serviteurs vêtus comme des hurons aidaient Herbert Berland à passer un corselet de fer noir au-dessus de son haubert, puis lui présentaient un tabard également noir.
    – Ah ! Fenouillet.
    Ogier vit l’index du père de Blandine toucher comme une chose impure le voile de soie fixé à sa cubitière.
    – Je vois que vous portez le gage de ma fille.
    – J’y ferai honneur, messire, si Dieu m’aide.
    Le seigneur des Halles de Poitiers remua son bras droit et constata qu’il se mouvait aisément. Ses lèvres se pincèrent :
    – Comptez sur Lui… Moi, je crois à ma force !
    Ogier trouva cet homme moins aimable et plus condescendant que sous les voûtes de Saint-Léger. Bien qu’il conservât, par sa claudication, un souvenir des Pâques précédentes, l’impatience de jouter semblait lui brûler le sang. Corpulent, le poil gris, la peau rougie d’émoi et de détermination, il paraissait si fier de sa vigueur que pour la mettre en évidence, il se haussait, la pointe d’un pied touchant terre, effaçant ainsi l’inégalité de ses jambes.
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