La fête écarlate
Un homme en armure, sous un tabard safran, se tenait près de lui.
– Aimery de Rochechouart (22) contre lequel je vais béhourder en premier.
– Bonne chance pour vos courses, chevalier, dit l’homme au visage avenant.
Ogier lut les armes de l’écusson brodé sur le cœur de Rochechouart : Il salua et s’en alla, lançant un regard aux clochers et châteaux de Chauvigny, puis aux échafauds bourdonnants où des servantes offraient des collations à l’essaim des femmes nobles et des bourgeoises. « Où trouver la paix ? » Son cœur s’enflait, ses battements redoublaient ; son armure commençait à peser ; ses vêtements intérieurs se mouillaient. Et devant lui passaient des hommes las, sanglants, certains penchés comme des vieillards, une main à plat sur leurs reins, d’autres soutenant leur poignet brisé…
– Pour la plupart d’entre eux, Français contre Français. Tous assoiffés d’orgueil et se meshaignant à plaisir !
Vraiment, au contraire des joutes et de leur violente apothéose : les tournois, la contubernalité (23) ne se voyait et ne s’éprouvait qu’à la guerre.
– Viens, c’est assez, Thierry.
Ils longèrent la double clôture de la lice. Assis dans l’herbe, à l’extérieur de ces forcloses, manants et bourgeois se côtoyaient gaiement. On mangeait ; on poussait, à grandes rasades, la nourriture dans les gosiers ; quelques femmes chantaient ; des rires soulignaient des plaisanteries certainement audacieuses. Plutôt que de l’amoindrir, cette joie sans malice aggrava chez Ogier la mélancolie qui l’avait saisi devant Herbert Berland. Pourrait-il devenir le gendre de cet homme ? Non… Du moins pas avant longtemps.
Il soupira de doute, d’impuissance : Blandine, les joutes et la conjuration, c’était trop !
– Gentils manants, dit Champartel. Voyez : avec mon armure noire, ils ont l’air de me prendre pour un grand et funeste seigneur. Et la meilleure preuve de ce que j’avance… eh bien, c’est qu’ils s’ébaudiront quand j’aurai le cul par terre !
– Tu ne tomberas pas si tu fais bien tout ce que tu sais. Mais vois : il ne reste qu’une barrière…
Ogier, ensuite, regarda les bannières flottant aux quatre coins du champ clos et la multitude des pennons dressés tout autour :
– Le vent souffle de la Vienne vers la plaine.
– Et alors ?
– Alors, mieux vaut courir contre : on a plus d’air dans le heaume et, surtout, la housse du cheval flotte droit et dégage ses jambes, tandis que si le vent lui souffle au cul, la toile se gonfle et le gêne ; elle peut ainsi s’accrocher à la barrière si celle-ci, comme c’est le cas, s’est rompue… Regarde, à son tiers, du côté de la Vienne : en tombant, quelqu’un l’a brisée. On a mis, pour la renforcer, un épieu juste au-dessous, mais les déchirures subsistent.
Ogier s’interrompit : il venait d’apercevoir Blainville auquel un sergent agenouillé fixait un éperon. Quand le serviteur se redressa, Thierry émit un grognement de surprise :
– Mais c’est Leignes !… Va-t-il remplacer Ramonnet ?
Blainville releva la tête et Ogier fut frappé par la componction de cette face dure, tendue, inhabituelle. Les joues s’y étaient creusées, les yeux plissés, la bouche affaissée. Dans ce visage rougeaud, tout exprimait le doute et l’émoi. « Mais le doute à propos de quoi ? Les joutes ou le complot ? » Cette défaillance fut brève :
– Lancelot !… J’ai plaisir à te revoir !… Tu as toujours l’apparence d’un huron, mais ton armure t’anoblit. Elle est belle et supplée ainsi ta malaisance.
L’affront glissa sur Ogier. Enhardi, cependant, de n’y pouvoir répondre, il toucha de l’index le plastron de l’armure adverse à l’emplacement du cœur et sourit en songeant avec quelle joie, un jour, il le transpercerait :
– Votre vêture est belle également, messire. Vient-elle des Allemagnes ou d’Angleterre ?… Je conjecture pour la Grande Ile, bien que vos plates se seraient enrugnies (24) en traversant la mer.
La perfidie glissa, elle aussi, sur Blainville, à moins qu’il n’eût exercé, sur le courroux provoqué par ces propos, un contrôle extraordinaire.
– Tu parais, Lancelot, bien disert… Ton armure me plaît. Je la crois à ma taille. Est-ce du fer poitevin ?… Combien en voudrais-tu ?… Ton prix sera le mien. Je suis prêt à la prendre.
Au diable, pour une fois, le
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