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La dernière nuit de Claude François

La dernière nuit de Claude François

Titel: La dernière nuit de Claude François
Autoren: Bertrand Tessier
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d’une Italienne d’origine calabraise, Lucia. Il l’appelle « Lulu chérie », elle lui répond tesoro mio . Trois ans après la naissance de leur premier enfant, Marie-José, qui ne tarde pas à se faire appeler Josette, naît Claude, le 28 février 1939. On avait dit à sa mère qu’elle aurait des jumeaux, Lucia l’aimera pour deux : avec son accent chantant, elle est toujours prête à donner de l’affection et à pardonner.

    Il a quatre ans quand, en pleine Seconde Guerre mondiale, un avion lâche une bombe sur la maison des François. Ils sont obligés d’aller habiter dans la vieille ville, odorante, bruyante, grouillante, fourmillante. Loin du ghetto doré où s’enferment volontairement les privilégiés de la Compagnie, Claude découvre une autre vie, moins ouatée, moins protégée, mais autrement plus excitante. Il a désormais pour camarades de jeu une bande de galopins grecs, italiens, maltais : la guerre a amené à Ismaïlia des réfugiés de tous les pays. C’est une sorte de mini-Babylone, où le petit blond aux cheveux taillés en brosse découvre que les « noirauds », comme on appelle les Arabes, ont plus à lui apprendre que les gamins tirés à quatre épingles de la résidence que la famille ne tarde pas à regagner. Une palme épluchée de ses feuilles ? Il est Zorro, d’Artagnan ou un cheikh. Souvent, il revient le pantalon déchiré, la chemise en lambeaux : ne supportant pas qu’on traite ses copains de « mal blanchis », il n’hésite pas à faire le coup de poing pour défendre leur honneur. C’est un gamin espiègle, indiscipliné, turbulent, un brin casse-cou, mais aussi, déjà, coléreux. Quand il pique ses crises, il serre les poings et se dresse sur la pointe des pieds. « Arrête de faire ta danseuse sur pointes », lui disent alors ses parents.

    Aimé François va forger son idéal masculin : on reste le fils de son père. En charge du trafic du canal, c’est un homme toujours élégant. Il porte un foulard autour du cou et s’enduit le visage de poudre de riz pour atténuer les marques de transpiration. Il a les mains manucurées et se parfume au Chanel n° 5 qu’il fait venir de France. À la Compagnie de Suez, où il a gravi tous les échelons de la hiérarchie, on l’appelle « Valentino ».
    À la maison, Aimé François est un père austère et sévère, autoritaire et cassant, bref, intimidant. Vouvoiement obligatoire. Les enfants déjeunent et dînent à l’office, et quand, le dimanche, ils sont conviés à la table parentale, ils doivent rester silencieux et ne jamais poser les coudes. Aimé n’entre dans la chambre de ses enfants que pour vérifier le rangement : si des jouets traînent par terre, il les jette par la fenêtre. Claude le surnomme « Vieille France », mais il l’admire tellement qu’il adopte sa manière de marcher, les bras dans le dos. Il voudrait l’épater.
    Ses moments de loisirs, Claude les passe à faire du sport et à se baigner, toujours accompagné de son chien, Dick, un corniaud qui ne le quitte pas. Du haut du plongeoir de douze mètres qui surplombe le canal, il n’hésite pas à faire le saut de l’ange, et l’un de ses plaisirs favoris consiste à se laisser porter vers la plage
par la vague provoquée par les bateaux empruntant le canal. La nuit tombée, il retrouve ses copains arabes et passe des heures, assis sur le trottoir devant les cafés maures, à accompagner les mélopées orientales en tapant des mains sur des gargoulettes ou des taraboucas, sorte de petit tambour. Pas convenable, aux yeux de son père, qui entend faire de lui un parfait petit-bourgeois. Dans la bonne société du canal, les filles doivent étudier le piano et les garçons le violon. Claude maniera donc l’archer. Il déteste ça, mais il est doué : à sept ans, il joue en soliste à la kermesse annuelle. Il lui suffit d’entendre à la radio une chanson d’Édith Piaf pour la reproduire illico, sans partition. De cet apprentissage, qu’il qualifiera d’« ingrat », il retiendra que la musique, au-delà de la passion, est avant tout un travail. Malgré lui, sa personnalité est en train de se constituer.
     
    Pour parfaire son éducation, son père l’envoie en pension chez les frères de Ploërmel : après avoir vécu libre comme un oiseau, il a l’impression de se retrouver en cage. Lever à 5 heures, lits au carré, office à 6 heures, études surveillées de près, la ferme discipline
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