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La Dernière Bagnarde

La Dernière Bagnarde

Titel: La Dernière Bagnarde
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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Mais je suis sûre en mon âme et conscience qu'un
homme, plus que tous les autres, méritait un jugement
terrible. Et cet homme, c'est vous. Je ne sais pas comment vous avez
r é chappé
de cette terrible sentence mais sachez que moi, je ne vous lâcherai
pas. Plus jamais vous ne pourrez faire ce que vous avez fait
jusqu'ici en toute impunité. Je ne laverai peut-être pas
ce bagne de toutes ses horreurs, mais je le laverai de vous. Je le
jure! Devant Dieu et devant les hommes !
    Elle
tourna les talons, le laissant pantelant. Bien que mise à mal
par tout ce qu'elle avait vécu ces derniers jours, la mère
supérieure ne pouvait pardonner à tous. Sa miséricorde
n'allait pas jusque-là. Parler à Charlie fut une
libération. Elle avait à nouveau désigné
l'ennemi. Alors elle se détendit et, après quelques
pas, elle remarqua que quelque chose s'était modifié
autour d'elle. Elle y voyait mieux, elle entendait mieux. Les paroles
de ceux qu'elle croisait, les sons divers, proches et même
lointains, les piaillements des oiseaux, le vent qui se levait,
jusqu'à la musique délicate et presque imperceptible des pr e mières
gouttes de pluie qui commencèrent à tomber sur le sol,
anno n çant
l'orage. Tout vivait et parvenait à ses oreilles avec une
netteté qui la st u péfiait.
Elle avançait, émerveillée, concentrée
sur ces sensations nouvelles. De mieux entendre il lui semblait
qu'elle y voyait plus
clair encore, et aussi qu'elle sentait mieux les odeurs. Tous ses
sens étaient en éveil. Débarrassée du
carcan amidonné qui depuis si longtemps e n serrait
son visage et réduisait son champ de vision, le réel se
d é ployait
autour d'elle. Elle en était transformée. Elle
renaissait. Et quand l'orage qui menaçait fit éclater
ses violent! grond e ments
dans le ciel de Guyane,
elle rayonna d'une joie nouvelle. La pluie tomba d'un coup, comme
toujours. Elle courut au carbet, et là, trempée, elle
l'appuya un instant dos contre la porte qu'elle venait de refermer et
savoura l'inte n sité
des m o ments
qu'elle venait de vivre.
    Elle
se sentait légère, irriguée de forces neuves.
Les années qu'elle avait vécues depuis son arrivée à Saint-Laurent-du-Maroni
lui avaient appris qu'il était illusoire de penser renve r ser
le cours des choses
en un seul combat, mais elle était sûre d'y parvenir. Il
faudrait simplement lutter pied à pied
sans rien lâcher avec ceux qui, comme elle, pe n saient
que cet enfer ne pouvait durer. Il y
avait les
médecins, et les autres auxquels on ne pensait pas, comme la
femme du directeur, Les fonctionnaires et les surveillants qui ne
parlaient pas
mais qui en avaient gros sur le cœur. Ils étaient peu
nombreux, mais ch a cun
ferait tout ce qu'il pourrait pour adoucir le sort de ceux que tout
le monde rejetait et pour qu'un jour ce bagne soit définitivement
fermé. Si m plement,
pour accomplir pareille mi s sion,
il faudrait garder tout son calme et accepter d'y consacrer toute sa vie sans espérer revoir la France un jour Ce serait
difficile, mais la mère supérieure
y était rés o lue.
    — Sœur
Odile ,
dit-elle à peine revenue au carbet, on va faire une grande
lessive, demandez aux femmes de sortir toutes leurs affaires.
    — Ah
bon ? Mais pourquoi ?
    — Pour
être prêtes.
    — Prêtes
? Mais à quoi ? fit la vieille sœur qui ne compr e nait
rien à cette décision soudaine.
    — À
faire les bagages.
    La
surprise de la sœur fut à la hauteur de la nouvelle,
i m mense.
    — Mais
ou va-t-on ?
    — Je
ne sais pas encore mais j'annonce à notre directeur que nous
sommes déterminées à quitter le carbet et à
nous installer dans sa ma i rie
s'il le faut Vous verrez qu'ils prendront des d é cisions
rapides pour nous trouver mieux.
    — Mais,
ma mère... où ? Il n'y a pas le moindre bât i ment.
    — Ils
le construiront.

39
    Depuis
qu'elle était miraculeusement revenue vivante de la jungle,
Marie n'avait plus jamais tenté quoi que ce soit pour
s'évader. Aucune femme ne revint de l'enfer, seuls certains
hommes parvinrent à s'év a der,
ce dont tous et toutes rêvaient. La volonté de vivre et
de s'en sortir que Marie avait forgée contre le sort à
l'aube de sa vie se brisa défin i tivement
un jour précis.
    L'hôpital
avait fait porter aux femmes un sac rempli de vêtements qu'il
fallait remettre en état. Comme Marie était de corvée
de linge, c'est elle qui l'ouvrit. Elle en extirpa les choses
habituelles, serviettes à raccommoder, draps à
recoudre,
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