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La croix de perdition

La croix de perdition

Titel: La croix de perdition
Autoren: Andrea H. Japp
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n'étions si proches de notre but, je vous supplierais de nous en retourner.
    Henri lut la fourberie dans le regard bleu-vert qui le détaillait. Elle ne l'étonna pas. Quelle importance, maintenant ?
    Ils gravirent la butte, Gilbert le tirant comme un faix 18 . Une centaine de toises encore. Enfin, ils le découvrirent, massif, si sombre, si large. Le dolmen. La Pierre procureuse 19 , ainsi qu'elle avait été baptisée par les paysans du coin, puisque la légende prétendait que la frôler réalisait les vœux. Étrange pierre d'un noir d'encre, si énorme que l'on se demandait quel titan avait pu la soulever pour déposer la table sur ses pieds de pierre. D'effrayantes rumeurs couraient à son sujet. Des êtres auraient été enterrés sous sa base, dans un passé si lointain que l'imagination s'y perdait. Des enfançons mâles et de jeunes vierges y auraient été égorgés à la gloire de dieux puissants et sanguinaires.
    Le regard de frère Henri balaya les environs, et un pincement d'appréhension lui vint lorsqu'il ne distingua nulle présence. D'une voix que l'émotion éraillait, il cria :
    – Ohé ! Nous sommes rendus !
    Un bruissement de branchages secs de froid sur la droite. La haute silhouette noire d'un homme chevauchant son destrier se découpa sur les arbres chargés de neige. Il se rapprocha d'eux au pas lent de sa monture, bientôt suivi par une jument d'un gris presque blanc, montée par une dame emmitouflée dans son luxueux mantel doublé de zibeline 20 dont l'un des pans recouvrait la croupe de l'animal. Gilbert était tout yeux. Doux Jésus, il n'avait jamais vu créatures humaines si belles, si parfaites. L'homme, de cuir et de velours noir vêtu, haut, droit et mince, avec des cheveux mi-longs à la mode. La dame, diaphane telle une bonne fée, et pourtant de belle taille. Sa petite bouche en cœur, rouge comme un fruit juste cueilli au point que l'on avait envie de la mordre avec délicatesse. Deux autres cavaliers se joignirent au couple magnifique. À leur mise, plus modeste mais dont Gilbert se serait volontiers contenté, le jeune homme ne put définir s'il s'agissait d'une escorte ou de compagnons de route de moindre fortune. Sans même un regard pour lui, le cavalier noir mit pied à terre et avança d'un pas lent vers frère Henri, qui semblait figé devant le dolmen. Il tendit vers lui une main gantée de fin cuir noir. Henri y joignit la sienne, entrelaçant ses doigts gourds entre ceux de l'homme. Un comportement si déplacé que Gilbert s'en étonna au point de se rapprocher. Sans même tourner le regard vers lui, le cavalier l'arrêta d'un geste, à une toise d'eux. Un peu plus loin, en contrebas, la dame patientait, un sourire léger flottant sur ses lèvres. Le calme parfait de sa monture surprit le jeune homme. Pas un frémissement d'oreilles, pas un piétinement. Les deux autres cavaliers surveillaient la scène avec une sorte de courtoise indifférence. Gilbert entendit :
    – Avez-vous tout bien soupesé, mon frère ? Le pour, le contre ? Le retour est encore possible. Plus pour longtemps. (Une main gantée se leva, désignant les deux cavaliers en patience.) Mon escorte vous peut reconduire, en sécurité, vers Dame-Marie. Tous deux. Un mot de vous. Un seul.
    La gorge sèche au point qu'il n'était pas certain de parvenir au bout de sa phrase, frère Henri déclara :
    – Non, seigneur Amalric. Il est déjà trop tard. Bien trop tard. L'espoir bat la chamade en moi. Il n'est rien de plus pernicieux que l'espoir. On s'y accroche, on se débat, alors que l'acceptation de la défaite serait au fond bien plus simple, même si elle est indigne. Le saviez-vous ?
    – Je l'ai oublié… Comme tant d'autres choses. Ainsi soit-il, donc.
    Se tournant vers sa dame, Arnaud Amalric lança d'une voix vibrante de passion qui coupa le souffle de Gilbert :
    – Ma précieuse mie, mon éternelle aimée… Jeanne, mon unique…
    La femme magnifique inclina la tête et fit obliquer sa jument d'une pression de talon. Elle disparut entre les troncs dénudés par l'hiver.
    – Approche, jeune homme, ordonna le cavalier noir à Gilbert qui s'exécuta. Ainsi, tu veux quitter ton couvent, découvrir le monde ? Vaste et téméraire projet. Mais que seraient les hommes sans leurs projets ?
    Incertain de la réponse à offrir, le moinillon se contenta de hocher la tête.
    – Viens et me raconte tes rêves, insista Arnaud Amalric.
    Saisi par la paisible autorité de cet homme
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