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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque
Autoren: Jean-Pierre Charland
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à faire, moins à manger aussi. Vous savez, mes parents sont très pauvres...
    Élisabeth lui adressa un signe d'assentiment. L'automne, afin de procurer à leurs parents un certain répit en soustrayant une bouche à nourrir, des centaines de jeunes filles arrivaient dans les villes, dans le meilleur des cas riches d'une recommandation du curé de leur paroisse, un certificat de moralité en fait.
    Les mieux informées connaissaient l'adresse d'agences de placement privées. Contre une fraction de leurs gages annuels, quelqu'un les introduisait dans les meilleures demeures bourgeoises susceptibles de vouloir du personnel. Les autres frappaient à la porte des maisons un peu cossues, tout comme à celle des ateliers et des manufactures, à la recherche d'un premier emploi.
    —Je connais la situation dans les campagnes, admit Elisabeth, songeuse.
    Elle ne poussa toutefois pas plus loin les confidences, de crainte que ses propres origines ne deviennent le sujet de discussion préféré dans toutes les cuisines de la rue Scott et des artères environnantes.
    —    Il y a encore huit enfants après moi. Mon père ne pouvait plus nous nourrir. Mes gages doivent lui être envoyés.
    Le rouge montait aux joues de la petite domestique. Contre deux dollars par mois, versés directement à son père par l'intermédiaire du curé de Saint-Hilarion, cette gamine de quinze ans se tenait à la disposition de ses patrons de six heures du matin à dix heures du soir. Dans ces conditions, elle se considérait néanmoins chanceuse. Son uniforme, hérité de la domestique précédente, ne révélait aucun trou, les souliers d'occasion dénichés pour elle ne prenaient pas l'eau, et la cuisinière lui laissait espérer qu'en cas de maladie, plutôt que des décoctions de gomme de sapin, elle verrait un véritable médecin.
    Voulez-vous vous asseoir un moment avec moi ?
    Elisabeth replia le journal, résolue à retarder sa lecture afin de livrer quelques petits avertissements quasi maternels à cette jeune adolescente.
    —    Madame Joséphine m'a absolument interdit de m'asseoir ailleurs que dans la cuisine... pour ne rien salir.
    —    Elle vous a certainement indiqué aussi de faire ce que je vous dis,
    —    ... Oui, Madame.
    —    Alors, exceptionnellement, prenez la place laissée libre par Eugénie.
    La gamine, timide comme une petite souris, les joues cramoisies, obtempéra.
    —    Les enfants vous traitent bien ?
    —    Oui, Madame.
    Aucun d'entre eux ne l'avait menacée de coups de ceinture, ce qui présentait une amélioration marquée sur les rapports prévalant à la maison paternelle.
    —    Je pense en particulier à Edouard. Il a un côté très gamin.
    —    Monsieur Edouard est très drôle... s'empressa de répondre Jeanne, avec un entrain un peu suspect.
    Elle reprit sur un ton plus posé :
    —    Il se montre très avenant avec moi.
    —Justement. C'est un jeune homme, vous êtes une jeune femme. Vous comprenez?.
    —    Oui, je comprends.
    Le rouge atteignait maintenant les oreilles de la petite bonne. À l'âge d'Edouard, les garçons de son village fumaient la pipe, allaient travailler dans les chantiers forestiers depuis trois ou quatre ans et n'hésitaient pas à bousculer une jeune fille dans un tas de foin. Le garçon de la maison ne présentait pas une bien grande menace à ses yeux. Tout de même, Elisabeth tenait à mettre les choses au clair :
    —Je lui ai expliqué de ne pas... embêter le personnel. Mais à son âge ! Faites bien attention de ne rien encourager, et si jamais Edouard fait le moindre geste... déplacé, laissez-le-moi savoir tout de suite. Autrement, votre séjour dans la maison pourrait très vite prendre fin.
    La mine maintenant très grave, Jeanne acquiesça d'un mouvement de tête.
    —    Nous nous comprenons bien, n'est-ce pas ?
    —    Oui, Madame. Je comprends.
    —Je vous remercie de votre attention. Vous pouvez desservir. Je vais continuer de lire le journal dans ma chambre.
    Jeanne se leva, jeta un regard discret sur le siège couvert de soie, inquiète de l'avoir vraiment souillé. Une nouvelle fois, puisque Eugénie n'avait presque rien avalé, les restes dans l'assiette serviraient de déjeuner à la domestique.
    Dans sa chambre, Elisabeth s'allongea sur le récamier placé dans l'alcôve circulaire aménagée dans la tour décorative ornant la façade de la maison. Des fenêtres sur trois côtés procuraient le maximum
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