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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque
Autoren: Jean-Pierre Charland
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trouve à table en peignoir ?
    —    Elle, elle a le droit de rester au lit...
    La jeune femme avait prononcé ces mots dans un murmure, les yeux résolument fixés sur son assiette pendant que son père y servait des œufs. Cette autre lubie tenait aussi de l'intruse: le père pourvoyeur donnait à chacun sa portion, ainsi personne ne pouvait ignorer que toutes les largesses venaient de lui. L'aînée des enfants vivait comme une contrainte insupportable ce rendez-vous quotidien, comme si sa présence changeait quoi que ce soit au cours des choses. Toutefois, elle n'osait défier directement cette directive. Si Elisabeth avait formulé l'opinion que les «usages de le vie en société » exigeaient que les repas se tiennent en famille, sauf en cas de contrainte insurmontable, son père en avait fait une règle.
    L'homme échangea un regard irrité avec son épouse. Toutefois, pour faire l'économie d'une scène, il jugea préférable d'abandonner le sujet de la tenue vestimentaire de sa fille. Quoique le couvent se trouvait tout au plus à deux mille pieds de la maison, Eugénie y avait suivi ses études en interne. Le pensionnat présentait un avantage certain quand une jeune fille se prenait à détester sa belle-mère. Malheureusement, à dix-huit ans, elle avait entièrement épuisé le cours d'étude des ursulines, et septembre ne la verrait pas retourner derrière les grands murs gris. Ou un prétendant viendrait bien vite la chercher, ou la vie deviendrait rapidement intenable.
    Thomas soupira de dépit, puis préféra changer de sujet, et d'interlocuteur:
    —    As-tu hâte de retourner au séminaire ?
    La question s'adressait à Edouard. Celui-ci, pressé d'avaler un repas copieux, semblait totalement insensible à la tension qui régnait dans la pièce. Très vite, il avait appris à ignorer les états d'âme de sa sœur et il s'étonnait toujours que quiconque prête la moindre attention à sa moue boudeuse.
    La question tenait un peu de la taquinerie. Ce grand jeune homme n'appréciait que médiocrement l'interminable séjour au Petit Séminaire de Québec nécessaire pour suivre les huit ans du cours classique dispensé par des prêtres malodorants. En réalité, tous les porteurs de soutane lui semblaient exhaler une odeur mêlée de camphre et de crasse.
    —    Pour tâter de la philosophie pendant deux ans encore ? Quelle perte de temps !
    Les dernières années des humanités classiques s'intitulaient pompeusement «Philosophie». Edouard jugea utile de bien préciser sa pensée :
    —    Lire de vieux curés morts depuis des siècles ne sert à rien, alors que je pourrais me rendre utile au magasin...
    —    Nous ne recommencerons pas cette discussion aujourd'hui. Nous avons une entente.
    «Dont tu as fixé seul les termes», songea le garçon avec un demi-sourire. Le ton du chef de la famille n'admettait pas la réplique, mais cela n'intimida guère ce grand adolescent
    cajoleur :
    —    Mais tu n'as pas fait d'études classiques, toi, ce qui ne t'a pas empêché de réussir. Je dirais même que c'est le contraire. Tout ce latin rend imbécile. Les Anglais ne s'encombrent pas l'esprit avec cela, et ils s'enrichissent. Ce genre d'études nous rend inaptes aux affaires.
    Edouard dit cela avec un sourire en coin. Ces arguments, son père lui-même les reprenait à la moindre occasion, parfois sur une tribune dans le cadre d'assemblées politiques.
    —Je ferais mieux d'apprendre à parler un anglais décent, et à compter, insista-t-il encore. Pour le reste, je perds mon temps...
    —    Tu n'as pas voulu t'inscrire à McGill, tout comme tu as refusé d'aller dans une école de commerce aux Etats-Unis. Alors n'aborde plus cette question, répliqua Thomas en fronçant les sourcils.
    Evoquer des études commerciales étaient une chose, mais quand quelques mois plus tôt, son père lui avait offert d'entrer en classe préparatoire à l'université montréalaise, ou même dans le pays voisin, le jeune homme avait lâchement refusé. Au fond, réussir médiocrement son cours classique lui coûtait trop peu d'efforts pour qu'il accepte de relever le défi exigeant de véritables études universitaires, surtout dans une autre langue que la sienne.
    Mieux valait quitter ce terrain délicat, ou bien il risquait de mal commencer sa journée.
    —Je me demande s'il y aura beaucoup de monde à l'assemblée, en fin d'après-midi ? questionna-t-il plutôt.
    La ruse était trop grosse,
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