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Gilles & Jeanne

Gilles & Jeanne

Titel: Gilles & Jeanne
Autoren: Michel Tournier
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malfaisants que de saints et d’anges gardiens.
    — Je crois comme toi, lui dit-il une nuit, que nous vivons environnés d’anges et de saints. Je crois aussi qu’il ne manque jamais de diables et de fées malignes qui veulent nous faire trébucher sur le chemin du mal. Mais toi, Jeanne, je t’ai ouï dire qu’ils te parlaient et que toute ta conduite s’inspirait de voix surnaturelles que tu entendais.
    — Pour ce qui est des diables et des fées malignes, répond-elle, je n’en ai guère rencontré à ce jour. Mais qui sait ce que l’avenir me réserve !
    Élevé dans l’ombre humide d’une forteresse, Gilles imagine difficilement son enfance campagnarde offerte à tous les météores.
    — Mais dans les taillis et les cavernes chevelues de racines qui se creusent aux flancs des talus, insiste-t-il, tu sais bien, toi qui as gardé les bêtes, tu sais qu’il y a des nains et des lémures jeteurs de sort.
    Jeanne se souvient en effet.
    — Assez proche de la ville de Domrémy où je suis née, il y a un arbre qu’on appelle l’Arbre des Dames. C’est un grand hêtre plusieurs fois centenaire. Au printemps, il est beau comme un lys, et ses rameaux descendent jusqu’à terre. Certains l’appellent l’Arbre des Fées. Il abrite une fontaine. Les malades qui ont la fièvre boivent l’eau de cette fontaine et retrouvent la santé. Au mois de Marie, les filles et les garçons de Domrémy garnissent les branches de l’Arbre des Dames avec des guirlandes. Ils étendent une nappe au bord de la fontaine et mangent ensemble. Ensuite ils jouent et dansent. Cela, je l’ai fait avec mes compagnes, mais je n’ai jamais vu ni entendu de nains ni autre créature du Diable.
    Tant de douce candeur éblouit Gilles, mais ne parvient pas à le convaincre.
    — Et pourtant le Diable et sa cour existent. Je les sens parfois qui me frôlent et murmurent à mes oreilles des choses obscures que je ne comprends pas et que je tremble de comprendre un jour. Toi aussi, tu entends des voix.
    — Oui, la première fois, j’avais treize ans. Et vint une voix environ l’heure de midi, au temps de l’été, dans le jardin de mon père. J’ai entendu la voix qui venait du côté de l’église. D’abord j’ai eu très peur. Mais ensuite j’ai reconnu que c’était la voix d’un ange, et singulièrement celle de saint Michel. Il m’a dit que sainte Catherine et sainte Marguerite viendraient à moi et que j’obéisse à leurs conseils et que je croie que c’était de par Dieu qu’elles me commanderaient.
    — Quels sont les ordres et les conseils que t’ont donnés ces voix ?
    — Avant toute chose, elles me disaient d’être une bonne enfant, et que Dieu m’aiderait. Ensuite elles me disaient la grande pitié qui était au royaume de France, et que je devrais venir au secours de mon roi.
    — De ces visions, en as-tu dit un mot à ton curé ?
    — Non, mais au seul Robert de Baudricourt, capitaine de la ville de Vaucouleurs, et aussi à mon roi. Mes voix ne m’ont pas obligée à tenir cela caché, mais je craignais beaucoup de révéler mes projets par crainte des Bourguignons, et aussi par crainte de mon père qui m’aurait empêchée de faire mon voyage.
    — Comment as-tu quitté Domrémy sans donner l’éveil ?
    — Je suis allée chez mon oncle Durand Laxart, notable de Durey-le-Petit, sis à une courte lieue de Vaucouleurs. Je lui ai dit que je voulais aller en France auprès du Dauphin pour le faire couronner, puisqu’il a été écrit que la France serait perdue par une femme {1} et sauvée par une vierge. C’est Durand qui m’a conduite au sire de Baudricourt.
    — Et qu’a dit le capitaine Baudricourt à ton oncle Durand ?
    — Ce Robert a dit à mon oncle qu’il me ramène à la maison de mon père après m’avoir bien giflée.
    — Ce qui fut fait.
    — Ce qui fut fait. Mais six mois plus tard, j’y étais à nouveau, et cette fois Baudricourt s’est laissé convaincre. Et les gens de Vaucouleurs m’ont donné des habits de garçon que je n’ai plus quittés depuis. Et ils m’ont acheté un cheval pour le prix de douze francs.
    — Et tes voix cependant ?
    — Elles ne me laissaient pas de répit, m’encourageant et m’exhortant.
    Gilles, qui ne connaît de par son immense fortune que la violence et les manœuvres pour atteindre des buts souvent dérisoires, est stupéfait du spectacle de tant de faiblesse et de simplicité faisant plier devant elles toutes les
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