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Gilles & Jeanne

Gilles & Jeanne

Titel: Gilles & Jeanne
Autoren: Michel Tournier
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lui représente qu’Alençon et Clermont ont été chassés du marché aux pourceaux d’où ils dominaient la situation. Elle-même doit se faire panser. Le soleil décline. Demain on reprendra le combat.
    — Demain, toujours demain ! Voilà des mois qu’on attend demain. Mais moi je sais que je dois faire vite. Mes jours sont comptés. Je durerai un an, guère plus.
    Étendue sur un lit de sangle dans sa tente, elle n’a pas un regard pour sa jambe blessée, pour la vilaine plaie dont le sang coule sur son genou. Elle plaint encore cette journée perdue.
    — La retraite quand tout pouvait être gagné ! La ville était prise.
    Des mires et des chirurgiens envahissent la tente pour la soigner. Elle les repousse avec colère.
    — Allez ! Allez-vous-en tous ! Je n’ai besoin pour guérir ni d’onguents, ni de graisse de marmotte, ni de thériaque. Dieu et ses saints pourvoiront à ma blessure.
    Les médecins ont reflué hors de la tente. Un homme pourtant est resté, assis sur un haut tambour de lansquenet. C’est Gilles. Il y a un long silence. Finalement il parle.
    — Tu es encore dans la fièvre du combat, dit-il. Tu ne sens pas ta blessure. Dans une heure tu auras recouvré ton sang-froid. Alors tu commenceras à souffrir. Tu vas souffrir toute la nuit.
    — Je souffrirai si Dieu le veut. Il n’est de joie ni de souffrance que de Dieu. Que fais-tu ici ?
    Gilles la regarde en souriant vaguement.
    — Je te regarde. Je me chauffe le cœur de ta présence.
    — Me prends-tu pour un brasier ?
    — Il y a un feu en toi. Je le crois de Dieu, mais il est peut-être d’enfer. Le bien et le mal sont toujours proches l’un de l’autre. De toutes les créatures, Lucifer était la plus semblable à Dieu.
    — Je te trouve bien théologien pour un chevalier en guerre. Tes compagnons prétendent que tu n’as pas plus de cervelle qu’un taureau de deux ans.
    — C’est vrai. Je n’ai jamais eu plus d’une idée en tête. Je ne suis ni savant ni philosophe, et c’est à grand-peine que je lis et écris. Mais depuis ta survenue à Chinon, le 25 février de cette année, cette unique pensée que peut contenir ma pauvre tête s’appelle Jeanne.
    Jeanne le regarde soudain avec méfiance.
    — Ne t’avise pas de me courtiser, jeune taureau. Jeanne n’est pas de celles que les soudards basculent au revers d’un fossé !
    Gilles s’est levé et vient se mettre à genoux devant elle.
    — Ne crains rien, Jeanne. Je t’aime pour ce que tu es. La Pucelle d’Orléans. La fille-garçon qui a sauvé la France et fait sacrer le roi. Le gentil compagnon d’armes qui a chargé l’ennemi botte à botte avec moi à Patay. Hein ! Comme nous les avons culbutés, les godons !
    Jeanne ne peut s’empêcher de sourire à ce souvenir.
    — Mais je t’aime surtout pour cette pureté qui est en toi et que rien ne peut ternir.
    Baissant la tête, il aperçoit sa blessure.
    — Accepteras-tu le seul baiser que je te demande ?
    Il s’incline et appuie longuement ses lèvres sur la plaie de Jeanne.
    Il se redresse ensuite et passe sa langue sur ses lèvres.
    — J’ai communié de ton sang. Je suis lié à toi pour toujours. Je te suivrai désormais où que tu ailles. Au ciel comme en enfer !
    Jeanne se secoue et se lève.
    — Avant d’aller au ciel ou en enfer, je veux moi aller à Paris !
    Comme pour lui répondre, un officier fait irruption dans la tente.
    — Par ordre du roi, j’ai à vous mander que la retraite est sonnée. La suite du roi a quitté les hauteurs de Montmartre pour gagner Saint-Denis. Demain elle se repliera vers les bords de la Loire.
    Jeanne ne veut pas croire ce qu’elle entend.
    — Au petit jour, nous pouvons tenter un assaut en aval de l’île Saint-Denis par le pont de bateaux. Montmorency a des intelligences dans la place. Nous offrirons sa capitale au roi de France sur un plateau !
    Mais ce sont des rêves. L’officier doit avouer à Jeanne que dans deux heures le pont de bateaux n’existera plus. On démonte l’ouvrage sur ordre du roi.
    Jeanne se tait accablée. Mais depuis six mois, elle connaît son souverain, ses reculades, ses petites trahisons qui en s’accumulant ressemblent de plus en plus à une trahison pure et simple.
    — Mon Dieu, soupire-t-elle, pourquoi Charles est-il si farouchement obstiné à regagner ses petites chambrettes !
    Ces nouvelles désastreuses, Gilles les a à peine entendues, lui. Ce n’est ni Paris, ni la gloire du roi de
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