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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années
Autoren: Robert Merle
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d’Hippocrate, tenait que
l’eau et le corps de l’homme ont une affinité naturelle, la première aidant le
second à se tenir en santé. Plût à Dieu, si j’ose ici me faire l’avocat de mon
père, que l’usance de l’élément liquide fût plus répandue en ce siècle et en ce
royaume qu’elle ne l’est, même parmi les grands ! Car j’ai vu, en mes
vingt ans, à la Cour de Charles IX, de hautes et jolies dames passer un
temps infini à se pimplocher, mais de bain, pas le moindre. Et n’est-ce pas
grande pitié que ces corps féminins, tant suaves et polis, demeurent, sous la
soie et les affiquets, dans la saleté du laboureur, qui lui, du moins, a
l’excuse de remuer la glèbe de l’aube au couchant. Hélas, qu’un homme est
rebuté, quand il a le nez fin, et qu’il sent vite la crasse sous les parfums
dont nos beautés se pulvérisent !
    À Mespech, mon aîné François
méprisait fort mes amours domestiques, mais je n’opine point dans ce sens. Je
préfère dire, quant à moi : Vive Franchou, si Franchou se lave d’eau
claire ! Et fi de la princesse du sang (je ne la nommerai pas) qui osait
se vanter à la Cour de ne s’être pas décrassé les mains de huit jours ! Et
il ne s’agissait que des mains ! Je vous laisse à penser du reste.
    Je m’aspergeais donc, hérétique même
en ces soins (et puissent mes péchés, le jour du jugement, me quitter aussi
vite, par la grâce du Seigneur, que les sueurs et les humeurs de cette nuit),
quand apparut, en sa cotte jaune, dans la cour mal pavée, notre belle
alberguière, point du tout accorte, mais au contraire fort marrie et dépit,
sourcillant, et sous le sourcil, l’œil pointu comme dague.
    — Holà ! dit-elle, les
mains aux hanches, et le ton bien plus raisin que figue. Voilà notre bel étalon
occupé à se panser lui-même après sa chevauchée !
    Et comme, dans mon embarras, je ne
pipais mot, elle ajouta ce trait de risée :
    — Le jarret quelque peu fléchi,
ce me semble !
    — Point du tout ! dis-je,
piqué et me redressant. Et toujours à votre service, ma commère !
    — Ha méchant ! cria-t-elle
alors. Ce n’est point vrai ! Vous avez tourné l’épaule, cette nuit, à mon
picotin ! Vous avez henni après d’autres avoines !
    Je pris alors le parti d’être
quelque peu effronté, ne pouvant être repentant.
    — Ma commère ! dis-je,
faisant le hardi et le cavalier, j’avais dessein, à dire le vrai, de manger aux
deux mangeoires. Mais à peine fus-je installé à l’une qu’on me passa le licol.
    — Si ce licol, comme je me
pense, était deux faibles bras, vous eussiez pu le rompre ! Allez, allez,
vous parlez de miel, mais je n’ai plus fiance en votre parladure. Vous
commencez avec l’une et avec l’autre, finissez.
    — Mais ma commère, dis-je, la
bonne auberge des Deux-Anges est sur l’aller comme sur le retour de ma
maison du Sarladais. Nous aurons donc maintes occasions de nous revoir.
    — Foin de ces creuses
promesses ! Je ne mange point de rôt à la fumée ! dit-elle, fort
irritée.
    Et me tournant le dos, elle ajouta
par-dessus son épaule :
    — Voyez-vous pas le fat qui
croit que je vais l’attendre ?
    Ce mot de « fat » me piqua
fort, et d’autant que ma sotte gasconnade sur les deux mangeoires me l’avait
bien mérité.
    — Eh bien, dis-je avec quelque
roideur, puisqu’il n’y a plus d’amitié entre nous, ma commère, faites-moi mon
compte, et je m’en vais.
    — Le compte est fait, dit-elle
en se retournant avec un certain air de triomphe et de revanche qui me donna
fort à penser. Trois repas à huit sols chacun : vingt-quatre sols. Six
sols seulement pour la chambre, pour ce que vous l’avez partagée. Douze sols
pour vos quatre chevaux. Et enfin dix-huit sols, mon noble Moussu, pour la
garce qui vous a cette nuit accommodé.
    Je restai sans voix, et la sueur me
coula tout soudain dans le dos à la pensée que je devrais expliquer à mon
gentil Samson – qui seul, comme j’ai dit, avait le pouvoir de lier et
délier notre bourse – la raison de cet exorbitant supplément.
    — Quoi ! dis-je. Payer les
faveurs qu’on me baille !
    — Cela dépend de qui les
baille ! dit l’alberguière.
    — Sanguienne ! Comme
dirait le Baron ! Je paierais pour une garce tout entichée de moi !
    — Vous ne m’entendez point,
Moussu ! dit l’alberguière, plus froide que pieds de nonne en chapelle.
Vous ne payez pas pour ladite garce, mais pour
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