Eclose entre les lys

prochain de notre bien-aimée souveraine
Isabelle qui sera couronnée en grande pompe à une date qui sera criée par tout
le royaume !
    Les époux royaux se retirèrent, tandis qu’éclataient
des « Vive le roi ! » et « Vive la reine ! » dans
une envolée de chaperons.
    *
    « Avant que le roi n’eût quitté la ville de
Reims, le cardinal de Laon fut atteint d’une maladie grave et rendit le
dernier soupir. Le Seigneur le délivra ainsi de la fureur et de la haine
implacable des oncles du roi. On croit généralement qu’il mourut empoisonné. On
assure aussi que, dans ses derniers moments, voyant que l’on se disposait à
traîner le coupable en prison, il s’y opposa de la voix et du geste, demanda
instamment qu’on ne le condamnât pas à mort, et que pour le repos de son âme, on
fît grâce entièrement au criminel. Ce fut dans ces sentiments qu’il entra dans
la voie de toute chair », écrivit peu après le religieux de Saint-Denis
dans la solitude de sa cellule.
    Dans sa chronique, il se garda de révéler le nom du
coupable, respectant ainsi les vœux du mourant. Personne ne put jamais
apprendre s’il s’agissait d’un sicaire de Bourgogne ou du duc de Berry. Isabelle,
elle-même, ne sut ni voulut savoir si l’exécutant était messire de Bois-Bourdon,
seigneur de Graville, naguère si gravement offensé par Pierre Aycelin de Montaigu,
cardinal de Laon.
    *
    C’est une châsse qu’avait voulue Saint Louis comme
sanctuaire et tabernacle à la plus fabuleuse de ses reliques, la couronne d’épines
du Christ, et c’est une châsse qu’on lui donna.
    La Sainte-Chapelle.
    Sveltes piliers, grâce aérienne de ses voûtes d’azur
étoilé d’or qui se fondent dans l’envolée de son éclatante verrière flambante
de sa dominante pourpre, comme si, en place de pierres et de vitraux, l’abside
de la Sainte-Chapelle était tout entière faite de filigrane d’or et de
pierreries que la lumière fait chatoyer.
    Et c’est en cette châsse que Charles VI
voulut la reine Isabelle pour son sacre.
     
    Elle s’y tient haut sur un piédestal à tapisserie
d’or, et tout le monde la voit.
    Elle regarde droit, portant sur ses épaules une
lourde houppelande de velours violet diapré, le manteau royal : l’Englobant
célestiel. Elle est l’ointe du Seigneur aux huiles sanctifiées, à la tête et à
la poitrine. Elle porte à l’annulaire l’anneau d’alliance avec son peuple, la
main de Justice à la main gauche, le sceptre au lys de France à la main droite.
La couronne repose sur ses cheveux tombants. Elle est d’une beauté qui ne peut
qu’être éternelle. En ce jour glorieux, elle est La Beauté.
    L’archevêque ôte sa mitre, la salue profondément, lui
donne le baiser de paix et crie avec force :
    — Qu’elle vive pour l’éternité !
    L’assemblée répond, profondément vibrante :
    — Qu’elle vive pour l’éternité !
    Le Te Deum éclate, et c’est le lâcher de
colombes.
    Isabelle Wittelsbach Visconti d’Ingolstadt, princesse
de Bavière, est reine de France par la grâce de Dieu.
     
    Elle suit des yeux l’envol des oiseaux affolés qui
cherchent leur liberté dans la luminosité des bleus saphir et indigo, des
jaunes bistrés, des verts limpides, des rouges jaspés ou mordorés qui
enluminent l’immense verrière.
    Un duvet comme gros flocon de neige s’échappe de
la gorge d’une colombe, et volette paresseusement sous la nef.
     
    Isabelle songe à la plume Insouciance de Philippe
de Mézières.
    La route qui menait à son élévation fut longue et
impitoyable, depuis celle, ensoleillée, qui menait au pèlerinage de Saint-Jean
d’Amiens, où un aveugle en haillons lui avait prédit : « Je vois une
couronne sur tes cheveux, Basileia, tes larmes se feront larmes de sang. »
    — Ainsi, tout est dit, Zizka ?
    — Non Basileia. Rien… n’est encore dit.
     
    Le flocon de duvet immaculé se pose, comme une
caresse, sur la gorge de la reine.

Remerciements
    À Jean Brasier et à sa fondation littéraire.

Index des personnages
    A NJOU Louis, duc
de : mort à Bari, en Italie en 1384, oncle de Charles VI et de Louis
d’Orléans, deuxième fils du roi de France Jean le Bon, aîné des princes
des Fleurs de lys.
    A RÉGONDE (née
en 1353) : dame maîtresse. Accoucheuse et avorteuse.
    B AVIÈRE Étienne III d’Ingolstadt Wittelsbach, duc de (mort en 1413) : père d’Isabelle,
époux de Thadée Visconti.
    B AVIÈRE Frédéric, duc