Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

et aménagée à son intention. Il en sera le gardien.
    Ses sermons, son éloquence attirent les pigeons au colombier. Chaque dimanche, la chapelle est remplie. L’endroit est pourtant relativement éloigné de tout voisinage. Mais cet éloignement même contribue sans doute à la qualité de son charme. On ne regrette pas, paraît-il, le déplacement.
    Cet abbé, profondément bouleversé, est devenu un autre homme.
    Ses anciens amis aiment à se moquer de lui. Le voilà bel et bien en odeur de sainteté, disentils. Vous verrez que bientôt il parlera aux oiseaux, qu’il réveillera les morts, qu’on lui verra des stigmates . Il a renoncé à tous les luxes, et au luxe des luxes, la luxure, il fait ses visites pastorales sur une mule, et son carême ne semble connaître aucune faim. La nuit venue, il peut aisément se passer de chandelles : les rayons qui lui sortent de la tête lui permettant de lire son bréviaire comme en plein jour.
     
    Ce soir-là, au sommet de cette tour, à genoux pour la première fois, l’abbé Grégoire de Ravigneaux venait, je crois, de découvrir les vertus de la prière. Ce qu’il s’est passé en lui, nul ne le saura jamais. Le bourreau avait révélé le prêtre.
     
    Oui, pour une fois, l’épée de justice se fit épée de lumière.
    En s’abattant ce soir-là, elle éclaira les régions les plus obscures, ces ténèbres au fond desquelles l’âme attendait d’être secourue.
    On me rapporta également les actions héroïques, saintes, d’une femme qui se fait encore appeler sœur Charité . Elle va là où personne ne va. Elle nourrit les lépreux, les grands malades, elle éduque les orphelins, elle dort avec eux, elle rit avec eux, car la joie est le plus apaisant des baumes. Son visage n’est plus si beau qu’autrefois, il est couturé de cicatrices, il est déformé par endroits, mais pourtant, il ne cesse jamais d’être éclairé, le fond a transfiguré la forme.
    Il se pourrait donc bien que don Juan de Tolède n’ait pas tué Edwige de Bellerasse comme il voulut nous le faire croire. En lui offrant une seconde chance, il prenait des risques. C’était tout ou rien. La vengeance ou la conversion. Le poison de la rancune, ou la cendre et le cilice . »

Robert Louvreur
    — Décidément, dit le roi, don Juan de Tolède nous aura réservé des surprises jusqu’au bout.
    — Mais il n’est déroutant qu’en apparence. Maintenant, Sire… maintenant que le château de Saint-Germain apparaît au lointain, un lointain qui sera vite rejoint, je dois encore vous dire quelle fut la seconde condition qu’Amadéor posa au cardinal, dans ce fameux carrosse dont nous avons déjà bien parlé.
    — Ah oui, je vous écoute.
     
    « Souvenez-vous, don Juan de Tolède m’avait confié la garde de cette épée de justice , Martyre , qui appartenait à Germain Hackard de La Hache.
    Cette épée, je vins la remettre comme convenu au nouveau bourreau de la Ville, le frère de notre ami.
    Mais j’ai autre chose, de plus grande valeur, à déposer, ce jour-là, entre les mains de cet homme.
    Un double document.
    Grâce à lui, grâce à ce frère fugueur, à ce fils prodigue, Robert Hackard de La Hache va être libéré de sa servitude. Il est délivré de ses obligations et de ce nom terrible qui semble écrit à l’encre rouge sur son front par la main du destin. Un autre bourreau le remplacera… Oui, Robert Hackard de La Hache va désormais porter le nom de Robert Louvreur. Et ce Robert Louvreur ne vaplus ouvrir les hommes, mais les bouteilles de vin. Le cardinal lui fait don de terres, de vignes, et d’une belle propriété dans la région bordelaise.
    Je crois savoir que ce maître des hautes-œuvres est devenu maître hôtelier, qu’il dirige une auberge des plus prisées et des plus accueillantes. Lui qui gardait porte close doit se réjouir aujourd’hui d’avoir tant de visites, autant de clients que d’amis.
    J’ai cru entendre également que le fils, encore fort jeune, se destinait à devenir médecin, chirurgien.
    On ne pourrait que l’y encourager.
    Oui, Majesté, notre histoire s’achève. Ce que Lanteaume rêvait d’accomplir, don Juan de Tolède est parvenu à le réaliser d’outre-tombe. Sauver le passé et l’avenir. De la honte et de la fatalité. François de Lyon avait donc raison. Je le cite à nouveau : Certains commencent les histoires, d’autres les poursuivent, et parfois, c’est encore un troisième qui les signe en y mettant le point