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Dieu et nous seuls pouvons

Dieu et nous seuls pouvons

Titel: Dieu et nous seuls pouvons
Autoren: Michel Folco
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déplacer.
    Ce dernier détail acheva de
convaincre Henri du danger que ce petit virtuose du couperet faisait planer sur
ses ambitions. Depuis qu’une indiscrétion de Georgette lui avait appris que
Rosalie ne pourrait plus enfanter, il savait la lignée des Deibler condamnée. A
la mort du patron, l’office reviendrait automatiquement à l’adjoint de première
classe, Yvon en l’occurrence, qui était également garçon coiffeur dans un salon
de la rue Saint-Denis. Henri se faisait fort de l’évincer. Mais voilà que l’arrivée
de cet Aveyronnais chamboulait tout.
     
    *
     
    Contrairement à ses adjoints qui
avaient conservé leur emploi « civil », Anatole Deibler était
exécuteur à plein temps et il lui était interdit de s’absenter de la capitale
sans une autorisation écrite de son supérieur hiérarchique, le chef du premier
bureau de la Direction criminelle. En contrepartie, il était maître de son
temps libre qui était important puisqu’il ne décapitait pas plus d’une
trentaine de « clients » par an. Il disposait de quelque trois cents jours
vacants qu’il partageait entre ses divers loisirs.
    Il faisait de la photo, du vélo,
jouait au billard, pariait aux courses, péchait à la ligne, promenait sa fille
à la Foire du Trône et montait derrière elle sur les chevaux de bois. Il
adorait le cinéma, mais plus encore le cirque. Les clowns le pliaient de rire
et la visite de la ménagerie lui rappelait son séjour en Algérie. Il n’était
pas non plus insensible au galbe des cuisses de la trapéziste en maillot
pailleté. Ce jeudi-là, le Cirque d’Hiver donnait une représentation au profit
des enfants orphelins et bègues de surcroît. Les clowns Zigoto et Tartempion
partageaient l’affiche avec une attraction sensationnelle : l’incroyable
nain bossu El Pequeño, et son partenaire, l’anaconda géant Comédor. Le dernier
était supposé avaler entier le premier et le recracher intact. Il n’était pas
question de rater un tel numéro.
    — Je remonte, avertit Saturnin,
mais c’est encore sale.
    Il était à la fois contrarié de ne
pouvoir terminer ce qu’il avait commencé et enthousiasmé à l’idée d’aller au
cirque.
    Henri, Gros Louis et Yvon les
regardèrent partir avec envie dans l’auto. Eux n’avaient plus qu’à retourner à
leurs emplois respectifs.
     
    *
     
    Moins d’une heure plus tard,
Saturnin était assis au premier rang d’un chapiteau bondé à craquer, en
compagnie de Marcelle qui trépignait d’impatience et de son père qui se
contenait difficilement de l’imiter.
    A l’exception du numéro de voltige
(personne ne tomba) et des jongleurs d’assiettes qui le barbèrent (ils n’en
cassèrent aucune), tout enchanta Saturnin. Le clou du spectacle fut sans aucun
doute l’extraordinaire prestation d’El Pequeño dans son numéro de casse-croûte
humain.
    Revêtu d’un collant molletonné
enduit au préalable d’une graisse d’aspect grisâtre, l’intrépide nain bossu
s’était fait avaler, puis recracher.
    Quoiqu’il n’y séjournât qu’un bref
instant, il n’en disparaissait pas moins entièrement à l’intérieur du monstre,
monstre qui le vomissait en affichant tous les signes de la plus extrême
réticence.
    A peine revenu à l’air libre, El
Pequeño encore tout gluant de bave muselait prestement son partenaire. Alors,
sous les applaudissements mérités, il le reconduisait à sa cage où l’attendait
un chevreau qui, loin de se douter du sort qui lui était réservé, broutait la
paille tapissant l’endroit.
    — Qu’il prenne garde qu’un jour
son Comédor ne refuse de le rendre et s’occupe à le digérer, avait commenté
plus tard Anatole, durant le trajet de retour à Auteuil. Même apprivoisés, des
serpents de cette taille ne peuvent être qu’infiniment sournois.
    — Surtout qu’il n’est même pas
armé, surenchérit Saturnin encore sous le choc du spectacle. Moi, à sa place,
je n’irais là-dedans qu’avec mon couteau. Et s’il ne veut plus me dégobiller,
je m’ouvre une sortie.
    Ils entraient dans Auteuil quand
Anatole freina devant le Tout va bien.
    — Attendez-moi, je n’en ai pas
pour longtemps, dit-il en sautant de la Darracq pour s’engouffrer dans le grand
café.
    — Mon papa à moi, il coupe des
têtes et il a beaucoup d’argent, déclara Marcelle en jouant avec la poire en
caoutchouc du klaxon.
    — Moi, c’est mon grand-père,
dit Saturnin sur le même ton.
    Ils en
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