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Dieu et nous seuls pouvons

Dieu et nous seuls pouvons

Titel: Dieu et nous seuls pouvons
Autoren: Michel Folco
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Chapitre I
     
    Baronnie de Bellerocaille,
province royale du Rouergue.
    Août 1683.
     
    Douillettement installée dans le
coin le plus confortable de la ruche, le plus tiède, la colonie de bourdons
sommeillait. L’un d’eux s’éveilla et eut faim. Il progressait lourdement vers
les alvéoles à miel lorsqu’il nota le nombre inaccoutumé d’ouvrières dans la
ruche. A une heure aussi avancée de la matinée, elles auraient dû être parties
butiner depuis longtemps. Poursuivant son chemin, le gros mâle ventru et poilu
se heurta à un groupe d’abeilles qui bloquaient le passage. Il s’apprêtait à
les bousculer sans ménagements lorsque, chose impensable, elles firent face et
lui sautèrent dessus. Il ne s’était pas bien rendu compte de ce qui lui
arrivait que l’une d’elles sciait le pédicule rattachant son abdomen à son
thorax tandis qu’une deuxième déchiquetait les nervures de ses ailes et qu’une
troisième cherchait et trouvait la fissure entre les anneaux et la cuirasse,
enfonçant son dard empoisonné à l’intérieur. L’âcre odeur du venin se répandit
dans l’abeiller, donnant le signal du massacre.
    Les reines étant fécondées et l’hibernage
approchant, la ruche n’avait que faire de ces lourdauds oisifs, gourmands et
inutiles.
    Dépourvus d’aiguillon, n’ayant
jamais eu auparavant à se défendre, les bourdons incrédules ne songèrent qu’à
fuir par les trous d’envol. Certains y parvinrent.
    L’un d’eux survola un instant les
remparts du bourg avant de s’engouffrer par mégarde dans la cuisine du maître
orfèvre Abel Crespiaget, heurtant de plein fouet l’œil droit de Pierre Galine,
son maître queux, occupé à préparer une bisque d’écrevisse. L’homme poussa un
cri de douleur et laissa échapper une pleine poignée d’épices dans la soupière.
    Après avoir heurté le carrelage,
l’insecte à peine étourdi reprit son vol et disparut par la lucarne s’ouvrant
sur la rue Magne.
    Pierre Galine était dans la souillarde
et aspergeait d’eau son œil meurtri quand la soubrette entra dans la cuisine.
Ne voyant pas le coq, elle prit la soupière de bisque et s’en fut la servir aux
maîtres qui s’impatientaient dans la salle à manger.
    Quelques instants plus tard, Abel
Crespiaget faisait irruption, les yeux exorbités, le palais, la gorge et
l’œsophage incendiés, brandissant une grande trique. Galine s’enfuit sans
comprendre à toute vitesse dans le couloir, puis dans les escaliers, dans la
cour, autour du puits et enfin dans la rue Magne où l’orfèvre le rattrapa et le
rossa d’importance.
    — Ayaouille !
Ayaouiiiiille ! Qu’ai-je fait, bon maître, pour être ainsi asticoté ?
    — Tu oses le demander,
empoisonneur ! rugit Crespiaget en redoublant la cadence de ses coups de
trique, ne s’arrêtant qu’une fois Galine inerte.
    Plus tard, des âmes charitables le
transportèrent jusqu’à sa couche où il demeura plusieurs jours avant de pouvoir
reprendre son service. Quant aux bourdons survivants, ils consacrèrent leur
journée à paresser sur les fleurs des berges du Dourdou. La fraîcheur du soir
et la faim les rendant oublieux des tragiques événements de la matinée, ils
rentrèrent à la ruche où on les attendait pour les exterminer. Ce qui fut fait,
jusqu’au dernier.
     
    *
     
    Le dimanche suivant l’Assomption,
Marguerite Crespiaget, l’épouse du maître orfèvre, mit au monde son sixième
enfant.
    Après cinq filles et plusieurs
pèlerinages à la Vierge noire de Rocamadour et au Saint Prépuce de Roumégoux,
c’était enfin un garçon.
    Radieux, maître Crespiaget le prénomma
Désiré, puis le fit baptiser en grande pompe dans l’église Saint-Laurent.
L’enfant fut ensuite confié à la femme du cocher Mazard, une maman-tétons de
bonne réputation qui vivait près de la rivière, dans la ville basse.
    Le dimanche suivant, à l’heure de la
grand-messe, le cuisinier Pierre Galine s’introduisit chez la femme Mazard et
l’étrangla. Après avoir dissimulé son corps dans le séchoir à châtaignes, il
s’empara du petit Désiré et le saigna proprement au-dessus de l’évier de
pierre. Puis il lui trancha la tête, glissa les morceaux dans un sac et rentra
dans sa cuisine hacher les chairs. Il en fit de la farce pour ses pommes
d’amour… qu’il eut soin de ne pas trop épicer.
    Réunie comme chaque dimanche au
grand complet, la famille Crespiaget se régala. Quand le plat fut vide, on
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