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Délivrez-nous du mal

Délivrez-nous du mal

Titel: Délivrez-nous du mal
Autoren: Romain Sardou
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entrées, une fenêtre bouchée avec du papier huilé, une longue table, un poêle, des fagots et une échelle dont les degrés servaient de tablettes à une quinzaine d’ouvrages rangés à plat.
    La maison curiale était, avec l’église proche, le seul bâti de pierre du village. Aucun fidèle ne la lui enviait pour autant : ses murs étaient glacés et humides, mal isolés par du torchis pauvre en paille.
    Le père Aba activa les braises de son poêle à l’aide d’un pique-feu. Il se dirigea ensuite vers la sortie, emportant un profond récipient d’étain.
    D’ordinaire il descendait jusqu’au ruisselet qui sifflait sous l’église pour se fournir en eau, mais cette année, le lit pris par le gel, il n’était plus possible de s’y approvisionner. Aba se contenta d’amasser de la neige dans son récipient. L’hiver 1288 était parmi les plus rudes que d’aucuns eurent à passer depuis bien longtemps.
    Le ciel était encore noir. Tout se taisait. Aba devinait cependant quelques maisonnées alentour, elles aussi illuminées de l’intérieur. Deux nouvelles habitations étaient en construction.
    Aussi étrange soit-il, cette pauvre paroisse, isolée du reste du monde, était en pleine expansion.
    Le village de Cantimpré était situé sur le plateau de Gramat, dans le Quercy ; il ne comptait qu’une vingtaine de toits anciens entourés d’arbres chenus et de pâturages d’altitude, dominant un défilé étroit.
    Cela faisait huit ans que le père Aba y exerçait son ministère, venu à pied de Paris (la « nouvelle Babylone » honnie par les gens d’ici) où il suivait les cours de philosophie de la petite Sorbonne. De son plein gré, il avait renoncé aux études pour embrasser la responsabilité d’un petit peuple fruste, à la simplicité laborieuse, difficile à émouvoir, craignant Dieu pour Dieu même et non pour ses représentants.
    Membre du tiers ordre de Saint-François, Aba ne s’était jamais repenti de son choix.
    Ce qui étonna le plus les habitants de Cantimpré à l’arrivée de Guillem Aba fut son âge. Il leur parut inconcevable que la petite église du village puisse revenir à un homme de moins de trente ans.
    Cependant il était très beau. Des yeux bruns et intelligents, un front haut, le nez mince et droit, la tonsure parfaite. Ses traits étaient sans irrégularités, un peu féminins. Son visage se distinguait agréablement : « angélique » dirent les femmes. De mémoire de bonnes chrétiennes, on n’avait jamais vu si bel homme, pas même sur les images.
    Les mains engourdies par le froid, le père Aba se releva, son récipient empli de neige, et retourna s’abriter.
    Pendant sa courte sortie, un jeune homme s’était introduit dans le presbytère par la porte du fond.
    C’était Augustodunensis, son unique auxiliaire, fraîchement arrivé à Cantimpré du village de Dammartin dans le Nord.
    L’évêché de Cahors avait accueilli favorablement la demande d’Aba de disposer d’un homme supplémentaire à la paroisse et lui avait envoyé ce jeune frère, bon garçon, compréhensif et bien morigéné. Augustodunensis était grand, les épaules frêles, le visage encore juvénile, mais doté d’un air déterminé dans tout ce qu’il entreprenait.
    Il résidait au village depuis seulement deux semaines, logeant au-dessus de la resserre à bois.
    — Bonjour, Auguste, lui dit le prêtre en refermant sa porte.
    — La nuit a été bonne, mon père ?
    — Non. Un peu de fièvre, sans doute. Elle m’aura suscité de mauvais rêves.
    Il haussa les épaules :
    — N’en parlons pas. Nous avons plus pressé. C’est aujourd’hui mercredi !
    — Je ne l’ai pas oublié.
    Augustodunensis montra la grosse jatte de lait fumant qu’il venait d’apporter. Il la déposa sur le poêle. Le prêtre y joignit son récipient empli de neige.
    Après quoi le jeune vicaire saisit un faisceau de brindilles et une pelle et déblaya les excréments des trois animaux. Il répandit ensuite de la cendre et des aiguilles d’épicéa sur le sol afin de chasser les mauvaises odeurs.
    Du fond de son armoire, Aba défit une croûte de pain enveloppée dans un torchon.
    Le vicaire rompit le silence :
    — Je dois me rendre à l’église préparer l’office de prime. Passez un bon moment avec les petits, mon père !
    Le prêtre promit de n’y pas manquer et Augustodunensis disparut par la porte du fond.
    Aba se félicitait que la providence lui eût envoyé ce jeune
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