Crépuscule à Cordoue

une large place dans la vie littéraire grâce à une galaxie de poètes. En outre, je découvrais ce soir que leurs grands marchands suivaient le même chemin.
    — Oui, ce fichu Quinctius est encore venu exhiber ses clients ! murmura un des scribes.
    Et, autour de lui, les bouches se pincèrent à l’unisson.
    Je me flatte d’être un garçon bien élevé. Aussi, pour détendre l’atmosphère, je me risquai à commenter :
    — Leur huile me paraît d’une piètre qualité.
    Là-dessus, j’en prélevai deux ou trois gouttes au bout de mon doigt sur la salade de cresson afin de la goûter. J’eus l’impression de goûter le soleil.
    — Bien au contraire, admit Læta. Elle est excellente. Aussi bien dans la cuisine que dans les lampes.
    Il s’exprimait avec plus de respect que je n’en attendais de la part d’un affranchi s’engageant sur le terrain commercial. Sans doute avait-il été contaminé par le réalisme nouveau qui voyait le jour sous Vespasien. Le nouvel empereur était issu de la classe moyenne, ce qui lui permettait au moins de savoir exactement quels produits étaient vraiment importants pour le peuple romain.
    De fait, les différentes salles étaient éclairées par des lumignons variés qui brûlaient d’une façon régulière et ne dégageaient aucune mauvaise odeur.
    — Ces olives sont également excellentes, proclamai-je, en me resservant copieusement.
    — Didius Falco est renommé pour ses analyses politiques, annonça soudain Læta à la cantonade.
    Première nouvelle. Tout ce qu’on pouvait porter à mon crédit, c’était d’avoir coincé un certain nombre d’escrocs et de criminels. Et aussi d’avoir convaincu une fille de sénateur d’abandonner son environnement luxueux et sa famille aimante et attentionnée pour partager la vie d’un type comme moi. Certains pensaient – à juste titre, hélas ! –, que cet acte me transformait moi-même en criminel.
    Tout en me demandant si je venais de découvrir la raison qui avait poussé Læta à m’inviter, je continuai à me montrer déférent :
    — Je sais bien que votre Société Bétique ne doit pas son nom à un banal condiment. L’huile d’olive fait partie intégrante d’une culture. Aucun grand cuisinier ne saurait s’en passer ; elle illumine palais et édifices publics ; les militaires en consomment de grosses quantités ; elle sert de base aux parfums et aux drogues ; les thermes et les gymnases ne sauraient s’en passer…
    — Et c’est aussi un excellent contraceptif, affirma l’un des joyeux gratte-parchemin.
    Je répondis en riant que je regrettais de ne pas l’avoir appris sept mois plus tôt.
     
    Soudain pensif, je reportai mon attention sur la nourriture. Une attitude qui parut satisfaire mes compagnons : ils préféraient que les étrangers à leur groupe se contentent d’apprécier leur conversation brillante sans y participer. Ils se plongèrent immédiatement dans une discussion ayant trait à leur travail.
    La remarque sur le contraceptif à base d’huile d’olive m’amusait encore. Je pouvais deviner sans peine la réaction d’Helena Justina si je lui rapportais la suggestion du manipulateur de stylet. Nul doute qu’elle allait s’exclamer qu’on devait avoir l’impression de faire l’amour à un poisson bien mariné. Le côté pratique de la chose, c’est qu’il était tout de même plus facile de se procurer de l’huile d’olive que ce fameux onguent à base de sulfate d’alun que nous avions utilisé pendant un temps pour éviter de fonder une famille. Une famille illégale, s’entend. En effet, celui qui tombait amoureux d’une jeune dame ne correspondant pas à son milieu social avait interdiction légale de lui adresser la parole ; quant à lui proposer de partager son lit !… Mais si l’objet de sa flamme était légal, il devait se dépêcher de l’épouser pour fabriquer un maximum de soldats.
    L’huile d’olive était loin d’être bon marché, mais on pouvait s’en procurer facilement à Rome.
    Le thème du repas était définitivement hispanique. Si une grande variété de mets défila devant nous, tous avaient un point commun : artichauts froids dans une saumure de poissons de la côte bétique ; œufs chauds dans une saumure de poissons à laquelle on avait rajouté des câpres ; volailles farcies dans une saumure de poissons agrémentée de romarin. Les endives furent servies nature, garnies d’un oignon haché. Il y avait tout de