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Christophe Colomb : le voyageur de l'infini

Christophe Colomb : le voyageur de l'infini

Titel: Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
Autoren: Patrick Girard
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par un capuchon, il était entré dans la grande pièce
faiblement éclairée par de mauvaises chandelles de suif, où les servantes
repoussaient en riant les avances des habitués, de pauvres hères venus chercher
là un peu de chaleur et de réconfort après une rude journée de labeur.
    Les deux hommes s’étaient assis en silence dans un coin,
près de la cheminée. Le plus âgé avait jeté quelques piécettes sur la table et
commandé du vin, du pain et du fromage. Ils avaient bu et mangé sans prêter
attention à leurs voisins. Bien plus tard dans la soirée, le plus âgé d’entre
eux s’était mêlé à la conversation générale. Tous commentaient la nouvelle
rapportée le matin même par des matelots : la chute de Constantinople,
tombée aux mains des Turcs.
    Un cardeur, Bartolomeo Costapelli, n’en finissait pas de
vitupérer les Grecs :
    — C’est un juste châtiment pour ces chiens d’hérétiques
qui refusent de reconnaître l’autorité du Pape. Le frère Antonio, le portier de
San Stefano, m’a dit, la voix tremblante d’indignation, que l’un de leurs chefs
avait osé affirmer : « Mieux vaut le turban des Turcs que la mitre
des Latins. » Je n’y ai rien compris mais cela devait être très grave, à
en juger par sa colère. Que Notre-Seigneur Jésus-Christ et Sa Très Sainte Mère
nous débarrassent à tout jamais de cette engeance !
    Selon Anna, une servante, le voyageur avait alors interrompu
grossièrement Costapelli :
    — Quel Chrétien tu fais, pauvre idiot, à maudire ces
Grecs dont tu tiens ton travail. Je devine à tes mains que tu es un tisserand.
Que feras-tu quand toi et les tiens, vous ne recevrez plus les noix de galle
dont vous vous servez pour teindre en noir vos mauvaises laines ? Elles
sont si rêches que seuls les pauvres de Salerne ou de Naples consentent à les
acheter. Quand ton estomac criera famine, tu supplieras Dieu que le Turc
veuille bien se montrer aussi accommodant que ne l’étaient les Grecs. Tu seras
même prêt à embrasser leur foi pourvu qu’ils continuent à te livrer ces
fameuses noix.
    Nul ne se rappelait qui avait alors dégainé un couteau pour
faire rentrer dans la gorge de l’homme un tel blasphème. Dans la pénombre, une
lame avait jailli. Le voyageur s’était vidé de son sang dans les bras de son
compagnon tandis que les clients de la taverne s’enfuyaient, abandonnant leurs
pichets à peine entamés.
    Des années plus tard, Domenico se rappelait amèrement les
déboires que lui avait valus cette rixe. Quand les archers étaient venus
enlever le cadavre, il avait entendu l’un d’entre eux réprimer un juron en
examinant les documents trouvés sur l’homme. Quelques heures plus tard, on
l’avait conduit chez le doge.
    — Le défunt t’a-t-il parlé ?
    — Non, seigneur. J’étais de garde à la porte
dell’Olivella comme le veut la charge que m’a confiée ton noble père.
    — Et que je te retire. Ne proteste pas. Voilà longtemps
que j’attends le moment de me venger de l’humiliation que tu m’as jadis
infligée en me refusant l’entrée de la ville.
    — Conformément aux ordres de ton père, l’illustre
Gianni Fregoso. Des ordres que tu as pris grand soin de confirmer quand tu lui
as succédé.
    — Peu importe. Ta taverne est un lieu de débauche et de
perdition. Tes servantes font commerce de leurs corps. Le prieur de San Stefano
s’en est plaint à plusieurs reprises. Jusqu’à présent, j’avais accepté de
fermer les yeux sur ce scandale. Je ne tolérerai plus que la protection de
l’une des portes de la cité soit confiée à un vulgaire maquereau.
    — Mais c’est me condamner à la ruine !
    Pierino Fregoso le toisa d’un air à la fois hautain et
vaguement inquiet :
    — Es-tu bien sûr que la victime n’a dit à personne qui
il était ?
    — C’est ce que m’a juré Anna. La pauvre fille était
toute remuée d’avoir assisté à un meurtre. L’homme s’est contenté de tenir les
malheureux propos que tu sais, sans doute sous l’emprise du vin dont il avait
bu force pichets.
    — Je veux bien te croire. Sache que nul ne doit jamais
apprendre ce qui s’est passé hier chez toi.
    — Le meurtrier et ses complices ne sont pas près de se
vanter de leur geste. Ils n’ont pas envie de gigoter au bout d’une corde.
    — Je m’en doute bien, et c’est là ta chance. Pour
éviter les commérages, je dois trouver une raison plausible à la fin de tes
fonctions de gardien
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