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C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue

C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue

Titel: C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
Autoren: Alain Decaux
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face.
    Il accueille des prisonniers dans son bureau, leur offre des cigarettes et leur fait parfois servir du thé, des pâtisseries, voire des oranges. Il les autorise à emprunter les livres de sa bibliothèque : cinq cents volumes en langues russe, française, anglaise et allemande, soigneusement rangés.
    Méditant plus tard sur ce personnage en apparence inexplicable, les survivants du camp de Kozielsk l’ont ainsi jugé : « Il semblait se tenir au-dessus du tout-venant quotidien de la propagande communiste mais, de toute évidence, c’était lui l’homme chargé de se faire une opinion sur le problème des prisonniers polonais et de faire son rapport aux plus hautes autorités de Moscou. »
    Le 4 mars 1940, il quitte le camp. Quelques jours plus tard, on voit paraître son successeur – haute taille et visage rouge brique –, un colonel du NKVD. Ses manières se situent aux antipodes de celles du Kombrig : « Il ne parlait à aucun des prisonniers, dira l’un des survivants de Kozielsk. Parfois, encore que rarement, il passait d’un air sombre à travers le camp ; personne ne le saluait ; lui-même ne semblait prendre aucun intérêt aux hommes qui l’entouraient. »
    Peu après l’arrivée du nouveau commandant, des prisonniers qui font les cent pas pour prendre un peu d’exercice entendent par hasard, en passant devant une fenêtre entrouverte, énumérer les noms de certains d’entre eux. Intrigués, ils s’approchent et voient un officier du NKVD au téléphone en train de noter, en les répétant à haute voix, les noms que lui dicte un interlocuteur invisible.
    C’est ainsi que tout va commencer.
     
    Chaque jour, une liste pouvant comporter une centaine de noms, parfois beaucoup plus, sera dressée. Cependant que l’une d’elle s’allonge, des gardes courent prévenir ceux qui y figurent. Ordre leur est donné de prendre leurs affaires et de se réunir sur-le-champ dans ce local que l’on appelle le « club ». Après avoir restitué le matériel qui leur a été confié, ils reçoivent un déjeuner un peu plus substantiel que d’habitude et, pour le voyage, une ration de pain et des harengs enveloppés « dans du papier blanc neuf ». Cet emballage représente, à l’époque, un tel luxe que l’on en trouvera l’évocation dans tous les récits des survivants  (3) .
    Tout cela est si précipité que l’on n’a guère le temps de se poser des questions. Insidieusement, celles-ci commencent à se glisser au milieu de ce branle-bas : que signifie un tel traitement ? Pourquoi les évacue-t-on ? Où va-t-on les conduire ? L’angoisse se fait jour, se précise, s’accroît. Cependant, un bruit commence à courir : peut-être va-t-on être libéré et, qui sait, renvoyé en Pologne ? Certains hasardent une hypothèse : les relations germano-soviétiques étant au beau fixe, peut-être va-t-on rassembler les prisonniers polonais en Allemagne ?
    Ce qui conforte cet optimisme, c’est la sympathie sans réserve que manifestent les Soviétiques. Chaque groupe sort du camp sous escorte, applaudi par ceux qui restent mais aussi par certains officiers du NKVD. Quand le tour vient des généraux Minkiewicz, Smorawinski et Bohatyrewicz, les autorités leur offrent un dîner d’adieu au « club ».
    Identique, l’ambiance qui règne au même moment dans les deux autres camps. Joseph Czapski, prisonnier à Starobielsk, s’en fera l’écho : « Quand, en avril, on commença à nous faire partir du camp par petits groupes, beaucoup d’entre nous croyaient vraiment que nous allions être libérés… Des hommes différents par leurs grade, milieu social, profession et opinions politiques étaient mélangés. Chaque nouveau groupe formé détruisait nos déductions précédentes. Nous avions une chose en commun : tous nous attendions fiévreusement l’heure où les noms de ceux qui devaient partir seraient appelés. Nous appelions cela “l’heure roulette” car, en cette heure, le hasard semblait bien présider au choix des noms, exactement comme les chiffres sortent aux tables de jeu sans raison ni possibilité de prévision  (4) . »
    À Kozielsk, le professeur Swianiewicz s’étonnera plus tard de n’avoir pas compris d’emblée le but réel de l’opération. À quelques pas de la balle dans la nuque, il n’a dû la vie qu’à un message parvenu de Moscou. Inculpé d’espionnage et attendu qu’il encourait la peine de mort, il fallait l’isoler des
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