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C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue

C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue

Titel: C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
Autoren: Alain Decaux
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Modigliani, les Bonnard et les Matisse. Ces Polonais, c’étaient Czapski et ses amis ». Les six semaines ont duré six ans : « Les meilleurs de la nouvelle peinture polonaise, les Czapski, les Cybis, les Waliszewski, sont sortis de cette bande. » Outre le titre déjà cité, Joseph Czapski, aujourd’hui décédé, a consacré à son expérience en Russie un livre essentiel  (6) .
    On ne peut lire, sans être bouleversé, les épisodes successifs de la recherche des Polonais survivants disséminés, en 1941, à travers toute l’Union soviétique et ceux de la quête des témoignages auprès des survivants. Quand, dans l’immédiat après-guerre, Czapski et ses camarades ont produit leurs premiers récits, certains ont cru y découvrir une œuvre de propagande antisoviétique. C’était l’époque où des communistes français juraient devant les tribunaux que Kravtchenko, en décrivant dans J’ai choisi la liberté l’univers concentrationnaire soviétique, avait menti : un tel univers, contraire à l’essence même du marxisme-léninisme, était impossible  (7) .
    Peu à peu la vérité se fait jour : on découvre que les généraux les plus importants ont été conduits à la Lubianka et les autres officiers enfermés dans les trois camps que le lecteur connaît déjà. Quant aux simples soldats, ils ont été répartis dans toutes les régions de l’URSS et traités comme les déportés politiques russes avec lesquels ils se sont souvent trouvés mêlés. Employés aux travaux les plus accablants, soumis, sans hygiène ni soins médicaux, à des climats implacables, un grand nombre sont morts de faim et d’épuisement. Dès que l’appel du général Anders a été connu, on a vu ceux qui en conservaient la force se traîner de la République de Komi, d’Arkhangelsk, de Vorkouta, de Kola, de Sibérie, de Karaganda, jusqu’à Totsk où était installé le camp de rassemblement. Il en arrive quotidiennement cinquante, deux cents, cinq cents. Un jour, ils ont été quinze cents. Tous dans le même état : « En haillons, les pieds dans des chaussures faites de lambeaux d’étoffe et de cordes, épuisés par les camps de travail, la faim et un voyage de plusieurs semaines sans nourriture suffisante. »
    Impossible désormais à ces hommes d’oublier l’accueil que leur réserve Anders. Passant entre les rangs des prisonniers loqueteux, il s’appuie sur une canne et boite légèrement : grièvement blessé en 1939, on l’a mal ou pas soigné dans les prisons de Lwow, Kiev, Moscou. Il regarde « ses » soldats. Son visage est terreux, son regard « extrêmement attentif et concentré ». Il parle. Des mots très simples. Il déclare les prisonniers réintégrés dans le service actif. Un message, enfin, dont chacun comprend la portée :
    — Nous devons oublier le passé… et combattre de toutes nos forces l’ennemi commun – Hitler – aux côtés de nos alliés, aux côtés de l’Armée rouge.
    Oublier sera désormais, pour tous ces Polonais, la règle d’or. Le passé – mais point les camarades. Pour le recensement de ceux-ci, on fait appel à tous les survivants. « J’étais frappé par la monotonie de leurs récits, raconte Czapski… L’attitude des autorités soviétiques avait été la même dans les camps de la Sosva que dans les camps de la presqu’île de Kola ; il s’était passé les mêmes choses dans les camps de l’Oneglag et dans ceux de la République de Komi ; les événements de Jarmolince et de Brody garantissaient l’authenticité des récits de Wileïka. »
     
    Ce qui se révèle d’abord, ce sont les désastres causés par le froid clans l’extrême Nord : « Un lieutenant, revenant d’Uchta, avait entendu dire par le chef local du NKVD que seize cent cinquante condamnés polonais avaient gelé dans un train avec cent dix convoyeurs soviétiques, en février 1941. C’étaient des prisonniers de guerre, dont un grand nombre d’officiers. Leur convoi, pris dans les neiges sur la ligne Kotlas-Vorkouta, n’avait pu être déblayé qu’au bout de quelques jours, alors que tous les passagers étaient morts de froid. »
    Les rescapés dictent les noms des disparus ; les listes s’allongent. Chose étrange, parmi ces noms, la commission de recensement ne retrouve jamais ceux des officiers de Starobielsk, de Kozielsk et d’Ostachkov. « Nous étions encore convaincus à cette époque, dit Czapski, que ces camarades allaient
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