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C'était le XXe siècle T.2

C'était le XXe siècle T.2

Titel: C'était le XXe siècle T.2
Autoren: Alain Decaux
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sais, là-bas, j’ai senti… J’ai compris ce qu’il voulait faire… Il voulait me frapper encore, mais je l’en ai empêché.
    La voix est « basse, les mots entrecoupés ». Il a dit je l’en ai empêché avec une sorte de fierté. Hansen, son secrétaire qui vient d’entrer dans la pièce, l’a remarqué comme Nathalie.
    Que s’est-il passé ? Nous ne pouvons que nous référer au récit de Ramon Mercader. Ils sont entrés ensemble dans le bureau. Ramon a remis l’article à Trotski qui lui a tourné le dos pour le lire. Alors, aussitôt, Jacson a sorti de son imperméable un piolet d’alpiniste et il a frappé. C’est à ce moment que Trotski a poussé ce cri horrible. Il s’est retourné, a mordu la main gauche de Jacson. Deux gardes ont surgi, attirés par le cri. Ils se sont jetés sur l’assassin. Trotski est sorti lentement de la pièce, s’est trouvé face à Nathalie.
    De la pièce voisine viennent des cris de douleur : les gardes passent Jacson à tabac. Sur la natte, Trotski s’affaiblit. Agenouillés aux côtés du blessé, l’un en face de l’autre, Nathalie et Hansen guettent ses réactions. Trotski s’oblige à parler une fois de plus, « aussi lentement et difficilement » :
    — Qu’ils ne le tuent surtout pas ! Il faut l’obliger à parler.
    On a appelé un médecin. Il survient, examine la blessure. Maîtrisant une émotion visible, il déclare qu’il n’y a rien là de grave. Trotski porte la main à son cœur et dit en anglais à l’adresse de Hansen :
    — Je sens ici … que c’est la fin. Cette fois, ils ont…
    Hansen et Nathalie lui affirment que la blessure n’est pas dangereuse. Trotski sourit faiblement comme quelqu’un qui sait qu’on veut lui mentir et que cela amuse. Sans cesse, il porte les mains de Nathalie à ses lèvres. Il continue en anglais :
    — Prenez soin de Nathalie, elle a été à mes côtés pendant de longues, longues années.
    — Nous le ferons, promet Hansen.
    « Le Vieux pressa nos mains convulsivement, les yeux soudain remplis de larmes et Nathalie, secouée de sanglots, restait penchée sur lui, embrassant sa blessure  (85) . »
    L’ambulance est arrivée. On y porte Trotski. Le chauffeur démarre aussitôt et s’élance à une incroyable vitesse à travers la ville, faisant fonctionner sa sirène sans discontinuer. Le bruit se double de celui des sifflets des agents motocyclistes qui escortent la voiture. Nathalie et Hansen se sont assis près du blessé. Trotski garde sa lucidité. Sa main gauche et sa jambe gauche sont à présent paralysées. Nathalie lui demande comment il se trouve.
    — Mieux, maintenant, fait-il.
    On pénètre dans la clinique, on le porte dans une chambre, on le dépose sur un lit. Les médecins l’entourent. Une infirmière lui coupe les cheveux. Trotski parvient à sourire et dit à Nathalie :
    — Le coiffeur est venu, tu vois.
    En effet, Nathalie, lui trouvant les cheveux trop longs, avait dit un peu plus tôt qu’il faudrait faire venir le coiffeur.
    Hansen affirmera qu’il a proféré encore ces mots :
    — Je suis sûr du triomphe de la IV e Internationale.
    Les infirmières commencent à le dévêtir. Il proteste, tourne son regard vers Nathalie :
    — Je ne veux pas qu’ils me déshabillent. Je veux que ce soit toi.
    Lorsqu’elle a fini de le dévêtir, elle se penche vers lui et pose ses lèvres sur les siennes. Il lui rend son baiser, longuement. Tel est leur adieu. Il perd conscience.
     
    La blessure n’a pas moins de sept centimètres de profondeur. La voûte crânienne et l’os pariétal droit sont brisés, avec enfoncement et projection d’esquilles dans le cerveau. Les méninges sont blessées. Une partie de la région cervicale est détruite  (86) .
    Toute la nuit, Nathalie attendra que Trotski se réveille. Il continuera à lutter contre la mort pendant plus de vingt-quatre heures. Il ne reviendra pas à lui.
    Le 21 août 1940, à 7 h 25 du soir, les médecins constatent la mort. La dernière image que Nathalie garde de lui : « Ils le soulevèrent, la tête s’inclina sur l’épaule et les bras tombèrent tout le long du corps comme dans la Descente de croix de Titien mais, au lieu d’une couronne d’épines, le mourant portait un bandage. Ses traits conservèrent toute leur pureté et leur fierté. Il sembla qu’à tout moment il allait se dresser pour décider encore lui-même de son sort. »
    L’autopsie révélera un cerveau d’une
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