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C'était le XXe siècle T.2

C'était le XXe siècle T.2

Titel: C'était le XXe siècle T.2
Autoren: Alain Decaux
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Avec une certaine timidité, le jeune homme déclare qu’il a écrit un article et qu’il souhaiterait que Trotski le lise afin de lui suggérer éventuellement des corrections. Trotski, qui a toujours aimé rendre service, invite Jacson à l’accompagner dans son cabinet de travail. Il se met à lire l’article et le juge sévèrement : un peu de délayage autour de vagues clichés. Le Vieux indique à Jacson dans quel sens il lui faut reprendre son travail. Puis il le renvoie.
    Songeur, préoccupé, Trotski rejoint Nathalie. Le comportement du « mari de Sylvia » l’a troublé. Pendant que, dans son fauteuil, il lisait l’article, Jacson s’est assis sur la table, le dominant de toute sa stature. Il n’a pas enlevé son chapeau et il a gardé sur son bras, serré contre lui, son imperméable. Pour la première fois, Trotski se demande qui est Jacson. Les paroles bizarres, qu’il a prononcées sur son « patron » lui reviennent tout à coup à l’esprit. Qui est ce patron ? Il faudrait se renseigner. Peut-être Jacson voudrait-il l’entraîner dans un scandale ? L’ami de Sylvia se présente comme un Belge élevé en France et il n’a rien de français. Ne cacherait-il pas sa véritable nationalité ? Dans ce cas, pourquoi ?
    Ses soupçons, Trotski les réitérera, le 19, à son secrétaire Hansen. Peut-être vaudrait-il mieux qu’il ne revoie pas Jacson ?
     
    Le 20 août, il fait très beau. Un soleil resplendissant. Dans le jardin, les fleurs multicolores semblent s’épanouir sur la pelouse. Avec étonnement, Nathalie regarde l’homme agité qui se tient devant elle : le mari de Sylvia, ce Jacson dont elle commence à s’étonner qu’il vienne si souvent. Il ne lui semble pas dans son état normal. Nathalie se souvient que Sylvia lui a confié que son mari n’était pas bien portant. Nathalie lui offre du thé. Jacson répond qu’il préfère un verre d’eau.
    Il le boit. Nathalie l’observe toujours. Elle l’interroge :
    — Il est prêt, votre article ?
    Maladroitement, gardant collé au corps le bras qui maintient son imperméable, Jacson lui montre quelques feuillets.
    — Vous avez bien fait de le dactylographier. Léon Davidovitch n’aime pas les manuscrits mal présentés.
    À pas lents, Nathalie et Jacson rejoignent Trotski toujours près des lapins. Celui-ci dit en russe à sa compagne :
    — Tu sais, il attend Sylvia. Ils partent demain.
    Nathalie comprend à demi-mot : le Vieux vient de lui signifier qu’il serait bon d’offrir du thé à Jacson. Elle répond également – en russe – qu’elle l’a déjà fait mais qu’il a préféré boire un verre d’eau. Trotski hoche la tête, se tourne vers Jacson.
    — Vous êtes encore souffrant et vous avez mauvaise mine. C’est mal, cela.
    Visiblement, Trotski n’a pas envie de quitter ses lapins mais il y a ce fichu article. Et Trotski est un homme poli.
    — Alors, voulez-vous me lire votre article ?
    Il ferme les portes du clapier, retire ses gants, secoue la blouse bleue qui protège ses vêtements. À pas lents, silencieusement, ils se dirigent tous les trois vers la maison. Nathalie les accompagne jusqu’au bureau. La porte se referme sur les deux hommes. Elle passe dans la pièce voisine.
     
    Trois ou quatre minutes. Tout à coup Nathalie perçoit un hurlement strident, un long cri d’agonie. Elle s’élance. Sur le seuil de la porte de la salle à manger, elle voit Trotski debout, s’appuyant au chambranle, les lunettes tombées de ses yeux bleus, le visage ensanglanté. Elle le prend dans ses bras. Elle crie :
    — Qu’arrive-t-il ? Qu’arrive-t-il ?
    Tout de suite, elle a pensé à un accident : le toit est en réparation, quelque chose a dû tomber sur Trotski. Le Vieux ouvre la bouche. Un nom tombe de ses lèvres, « distinctement, sans que sa voix révèle altération, amertume ou désespoir » :
    — Jacson.
    Elle le soutient, l’aide à s’allonger sur la natte.
    — Natacha, je t’aime.
    Il a dit cela comme une affirmation qui ne souffre pas de discussion, avec la même netteté mais sur le même ton neutre.
    Elle s’incline vers lui, place un oreiller sous sa tête, essuie le sang qui coule sur le visage, va chercher de la glace qu’elle place sur la blessure.
    Quelques mots encore mais la voix, cette fois, est presque imperceptible :
    — Il faut éloigner Sieva.
    Du regard, il désigne la porte du bureau. Avec une difficulté accrue, il prononce :
    — Tu
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