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Caïn et Abel

Caïn et Abel

Titel: Caïn et Abel
Autoren: Max Gallo
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désireront mourir et la mort les fuira.”
    « Jusqu’à quand ? »
     
    Contrairement à ce que croyait Vassilikos, Déméter ne pouvait être un impie.

4
    J’ai refermé le cahier rouge et fui la maison de Paul Déméter. C’était le royaume de la Mort, l’abattoir où l’on égorgeait. Là où Satan avait son trône et la Bête, sa tanière.
    Je m’en suis voulu de me laisser envahir par ces mots, ces images, d’accepter ainsi ces croyances que j’avais toujours qualifiées de primitives.
    Durant toute mon adolescence j’avais ricané devant mes tantes, mes cousines, mes nièces, toutes ces veuves noires, ces Calabraises vivant dans la crainte du Démon, cette Bête qu’elles écartaient d’une prière, d’un geste rituel, index et auriculaire tendus, les autres doigts repliés.
    Je m’étais esclaffé quand j’avais lu, au chapitre XIII de l’Apocalypse de Jean, la description de la Bête « qui monte de la mer avec dix cornes et sept têtes, et sur ces cornes dix diadèmes, et sur ces têtes des noms blasphématoires… Tous leshabitants de la terre se prosterneront devant elle, ceux dont le nom n’est pas inscrit depuis la fondation du monde dans le Livre de vie de l’agneau égorgé ».
    J’avais été à la fois intrigué et révolté par la puissance que Jean, et son Dieu dont il était l’interprète, accordaient à Satan, à la Bête :
    « Elle fait qu’à tous, petits et grands, riches et pauvres, libres et esclaves, soit donnée une marque sur la main droite ou sur le front pour que personne ne puisse acheter ou vendre s’il n’a la marque, le nom de la Bête ou le chiffre de son nom.
    « Ici est la sagesse : que l’intelligent calcule le chiffre de la Bête, car c’est un chiffre d’homme, et ce chiffre est 666. »
    Or ce n’était là que la valeur numérique des lettres de l’empereur Néron en hébreu !
    Et maintenant, parce que j’avais découvert une tache de sang séché sur un oreiller, que j’avais fixé les yeux d’une morte, je capitulais devant ces fables barbares et rejoignais le troupeau des crédules et des superstitieux ? Des femmes de Calabre !
    Allons, allons, que la raison se rebiffe, qu’elle recouvre son empire !
     
    Je me suis efforcé de ralentir le pas, de m’arrêter souvent et, campé, jambes écartées, j’ai croisé les bras, le menton levé vers ce grand ciel implacablement vide et silencieux, seulement peuplé de nos terreurs et de nos rêves.
    Pauvres humains effrayés de vivre et de mourir, et qui tentent depuis l’origine des temps de tendre leurs mains vers les étoiles !
    Pitoyable fou, Paul Déméter, qui cachait sous les défroques de la superstition son sentiment de culpabilité, ses frayeurs ! Il avait oublié – et sa vanité se trouvait ainsi comblée – qu’il n’était pas le seul père à avoir perdu un enfant, cette Pauvre Décharnée, cette Marie au regard fixe qui n’était qu’une malade qu’il eût fallu confier à un médecin.
     
    Une dose quotidienne de lithium et c’en était fait de la peur, de Satan, de la Bête !
    Mais comment se satisfaire de cette banale guérison alors qu’on pouvait s’agenouiller et trembler, implorer la Bête qui « fait descendre un feu du ciel sur la terre » ?
    Mieux valait le royaume de Satan qu’un ciel vide.
     
    J’ai repris ma marche vers le port de Skala, martelant le sol comme pour me convaincre à coupsde talon que j’avais la force de refuser cette maladie de la raison qui faisait préférer le mythe à l’explication lucide, le fantastique au réel, la Bête au cancer, Satan à la dépression.
    J’ai voulu arracher ces masques grimaçants qui dissimulent la cruauté quotidienne de la maladie, l’évidente banalité de la mort.
    Peut-être Paul Déméter s’était-il réfugié dans l’idée que la disparition de sa fille était la décision maléfique de Satan, non la conséquence d’une pathologie ?
    Ç’avait été sa manière à lui d’accepter l’inéluctable et de magnifier le souvenir de Marie la décharnée, victime de dieux obscurs.
    Et tous deux, père et fille, faisaient ainsi figure d’agneaux égorgés, sacrifiés comme le Christ.
     
    Je me suis souvenu d’un des versets de l’Apocalypse de Jean qui m’avait révolté lorsque je l’avais découvert en première lecture :
    « Voici, je la jette au lit, la femme qui ne veut pas se convertir de sa prostitution, et ses complices d’adultère, je les jette à une
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