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Caïn et Abel

Caïn et Abel

Titel: Caïn et Abel
Autoren: Max Gallo
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de cette loi.
    « Chacun sait ici que Dieu chasse l’impie : mort ou vif, il doit partir ! »
     
    Je me suis dégagé et écarté comme si Vassilikos avait été un être maléfique ranimant les peurs et les colères de mon adolescence quand, en vacances en Calabre, je vivais entouré de femmes en noir. Elles se signaient d’un geste vif, répété à chaque instant. Elles égrenaient leur chapelet, s’agenouillaient sur les dalles disjointes de l’église, attendant de recevoir la communion. Elles avalaient l’hostie avec avidité,me poussaient vers l’autel, et je me répétais le mot que m’avait appris mon père : « Anthropophages ! maugréait-il. Ce sont toutes des anthropophages ! »
     
    Je les fuyais, ces tantes, ces cousines, ces nièces, ces veuves. Je rejoignais les hommes. J’écoutais le récit de leurs exploits, de leurs débauches. Parfois, l’un d’eux, « Professore », me parlait des fous, de ce rebelle, il Re dei boschi , le Roi des bois, de ces moines hérétiques qui avaient poussé en Calabre comme des champignons vénéneux. J’aimais leurs noms : Joachim de Flore, Campanella, bien d’autres qui prétendaient avoir vu le Seigneur Jésus Christ et rêvé d’instaurer sur terre le règne de la Justice et de l’Amour, et plus encore celui de l’égalité entre les hommes.
    Fous, oui, ces moines-là que le Diable, la Bête aveuglaient. Et les hommes aussi se signaient comme les femmes, s’agglutinaient dans l’église que j’appelais « la Monstrueuse », qui écrasait le village de sa hautaine silhouette de matrone toute-puissante.
     
    Comment aurais-je pu croire en Dieu ?
    Je m’étais jeté dans la raison comme on se précipite par-dessus le bastingage pour échapper au naufrage.
    Je m’étais englouti dans le Droit. J’avais revêtu l’uniforme aux broderies d’argent des commissaires de police et j’avais commencé à déambuler par les sentines de la société, reniflant les traces d’hommes corrompus que je devais saisir à la gorge et empêcher de nuire.
    J’étais un chien et ne valais guère mieux que ceux que je traquais. L’Apocalypse de Jean nous condamnait les uns et les autres :
    « Dehors, les chiens ! s’écriait Dieu. Dehors, les drogueurs, les prostitueurs, les meurtriers, les idolâtres, et quiconque aime ou fait le mensonge ! Dehors, les craintifs, les mécréants, les horribles ! Leur part est dans l’argent, étang de feu et de soufre qui est la seconde mort. »
    Avec ces hommes-là que je pourchassais, que je menottais, Jean me jetait dans l’« étang de feu et de soufre ».
    Où était le Seigneur de Miséricorde ?
     
    « Dieu ! Le Diable ! Assez de divinités barbares, Vassilikos ! ai-je lancé. Il n’y a que des hommes, et les hommes ça pue, ça égorge, ça saigne ! Et, à la fin, quoi qu’on ait cru, pensé ou dit, on s’en va. On part de Patmos ou d’ailleurs. »
    Vassilikos m’a dévisagé avec compassion. Une moue de mépris, voire de dégoût, a déformé sabouche et j’ai eu la tentation d’écraser du poing ses grosses lèvres humides.
    Il a commencé à fouiller dans ses poches, sans me quitter des yeux, en marmonnant d’une voix grave :
    « Dieu juge chacun selon ses œuvres : Jean le dit dans son Apocalypse. Et si quelqu’un n’est pas inscrit dans le Livre de vie, on le jette dans l’étang de feu. Hâtez-vous donc d’être inscrit dans ce Livre ! »
    Puis il m’a tendu les clés de la maison de Paul Déméter.

3
    C’était la maison de la Mort.
    Dès mes premiers pas dans la grande salle du rez-de-chaussée, j’ai vu le lit défait, les draps froissés, la tache brune qui maculait l’oreiller.
    C’était le sang séché de Paul Déméter. On avait dû l’égorger ici pendant son sommeil, puis on avait porté son corps jusqu’au monastère et on l’avait encastré dans la niche, d’où son sang avait coulé sur le marbre.
    Mais c’était bien ici, dans sa maison, que Paul Déméter avait vécu l’Apocalypse.
     
    J’ai regardé autour de moi.
    C’était la maison de l’écrit. Les livres remplissaient des rayonnages, formaient des piles appuyées contre les murs. Des carnets, des dossiers, des cahiers s’entassaient sur une longue table de bois noir placée face aux trois étroitesfenêtres ouvrant sur la mer. Je me suis assis là où Déméter devait s’installer pour lire et écrire. Ses avant-bras avaient poli le rebord de la table, qui s’en trouvait
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