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Caïn et Abel

Caïn et Abel

Titel: Caïn et Abel
Autoren: Max Gallo
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les principaux éléments de son dossier. Il avait séjourné en Palestine, surveillé par les services secrets israéliens. Alertés, les agentsfrançais avaient pris le relais. Veraghen était soupçonné d’inspirer des groupes prônant l’action violente et même le terrorisme. Il rédigeait leurs textes, leurs appels à la révolte des « Multitudes ». Veraghen avait créé et dirigé La Cité du Soleil , une revue qui reprenait le nom d’une société idéale imaginée au xvi e  siècle par le moine dominicain Tommaso Campanella, un fils de paysans calabrais.
    Comment aurais-je pu l’oublier, moi dont la famille était originaire de cette terre sauvage, péninsule d’insoumission qui avait connu tant de rêveurs et de fous de justice mêlant mystique, religion et révolution ?
    Je n’en avais rien dit à Vassilikos, me contentant de lui indiquer – mais peut-être le savait-il ? – que Louis Veraghen, professeur émérite de philosophie, s’était rendu plusieurs fois, au cours des dernières années, à Patmos, et qu’à Paris il rencontrait souvent Paul Déméter.
     
    Vassilikos a haussé les épaules, s’est levé, m’a montré la route montant vers la grotte de l’Apocalypse. Il m’a fixé, la tête penchée, son regard passant au-dessus de la monture métallique de ses lunettes rondes.
    « L’Apocalypse, on doit d’abord l’affronter seul », a-t-il dit.
    Puis il m’a tourné le dos.
     
    Deux heures plus tard, il m’attendait sous le porche du petit monastère dont les bâtiments encerclent la grotte. Il s’est approché d’une niche creusée dans les pierres du mur et encadrée par deux colonnes en marbre. Elle avait la taille d’un homme de haute stature, et un socle, à sa base, suggérait qu’elle avait abrité une statue.
    « Il était là, votre agneau », a lancé Vassilikos.
    J’ai remarqué la trace brune qu’avait laissée sur le marbre le sang de Paul Déméter.
    « Malheur, malheur, malheur aux habitants de la terre ! » a récité Vassilikos.
    Je connaissais ce verset du chapitre VIII de l’Apocalypse. À première lecture, il avait résonné en moi comme s’il avait décrit la guerre dont mes proches avaient été les témoins, les corps brûlés, fondus, ces villes devenues des amoncellements de pierres, ces espaces contaminés pour des siècles, ce sol vitrifié. Prononcés par Vassilikos, les mots de l’Apocalypse m’ensevelissaient et me dévoraient à nouveau :
    « Ç’a été de la grêle et du feu mêlés de sang et jetés sur la terre… et une sorte de grande montagne ardente s’est jetée dans la mer… et une grande étoile ardente comme une torche esttombée du ciel… Le nom de cette étoile est Absinthe… et beaucoup d’hommes sont morts à cause des eaux devenues amères… et le tiers du soleil et le tiers de la lune et le tiers des étoiles ont été frappés. Ils ont été obscurcis d’un tiers… Et j’ai vu et entendu un aigle voler au zénith et dire à grande voix : “Malheur, malheur, malheur aux habitants de la terre !” »
    Je me suis tu. L’émotion m’avait saisi. Je voyais le corps de Déméter poussé, enfoncé, égorgé dans cette niche, son cercueil de pierre.
    « Un agneau debout comme égorgé », ai-je seulement ajouté, citant le début du verset 6 du chapitre V de l’Apocalypse de Jean.
    « Il avait sept cornes et sept yeux qui sont les sept esprits de Dieu envoyés à toute la terre », a complété Vassilikos.
    Tout à coup, une colère, une révolte nourries par l’émotion m’ont submergé.
    « Déméter était un homme, seulement un homme, et c’est seulement un homme qui l’a égorgé ! » me suis-je exclamé en m’éloignant.
     
    J’ai marché sous les oliviers, butant contre les mottes de terre sèche.
    Puis je me suis assis sur un muret, et Vassilikos m’a rejoint. Il m’a offert l’un de ces cigares italiensqu’on nomme toscans, durs comme du bois, dont la saveur corrosive déchire les lèvres et la gorge.
    « Personne n’échappe à l’Apocalypse, a-t-il murmuré après un long silence. Pourtant, vous ne croyez pas en Dieu, si je ne me trompe ? »

2
    Je n’ai pas répondu à Vassilikos, qui hochait la tête comme si mon silence l’accablait.
    « À Patmos, a-t-il dit d’un ton apitoyé, si on ne croit pas en Dieu, on quitte l’île ou bien on meurt. »
    Il a passé son bras autour de mes épaules et murmuré que Paul Déméter avait peut-être été victime
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