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Caïn et Abel

Caïn et Abel

Titel: Caïn et Abel
Autoren: Max Gallo
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grande affliction… Et ses enfants, je les tuerai à mort. »
    Tout à coup, retrouvant fichée dans ma mémoire l’expression de cette violence meurtrière, mes résolutions, ma raison sont devenues cendres.
    Je me suis senti vulnérable, coupable de profanation, de sacrilège, prêt à supplier ce Dieu « qui scrute les reins et les cœurs » de ne pas user contre moi de sa « trique de fer ».
    C’étaient là les mots de Dieu selon l’Apocalypse de Jean, et j’ai eu hâte de rejoindre Skala, de me réfugier dans la chambre que j’avais louée à l’hôtel Xénia, dont les fenêtres donnaient sur les quais du port.
     
    Je me suis mis à courir. Ce n’était pas pour m’adonner au plaisir de la course, comme je faisais souvent, mais pour m’éloigner au plus tôt de cette maison de l’Apocalypse et tenter d’oublier ce que Paul Déméter avait écrit en affirmant que l’Apocalypse dévoilait la vérité de sa vie.
    Comme une évidence inattendue, fulgurante, j’ai pensé que les prophéties de Jean me concernaient, qu’elles révélaient la vérité de chaque existence humaine, donc de la mienne aussi. Que le sens de ma vie, je pouvais le découvrir également dans le miroir de l’Apocalypse.
    Comme chaque homme, j’étais « malheureux, pitoyable, pauvre et nu », promis comme les autres à la mort.
     
    J’ai couru aussi rapidement que je pouvais, dévalant les sentiers, sautant de planche enplanche, heurtant des racines d’olivier qui affleuraient, perçant la terre caillouteuse. Puis j’ai senti mes jambes vaciller, le souffle m’a manqué et j’ai eu l’impression qu’on enfonçait dans ma gorge et collait sur mes lèvres des poignées d’étoupe. Mon cœur s’est affolé, ses battements envahissant ma bouche, et j’ai suffoqué.
    Il a fallu que je m’accroupisse, la tête ballant sur ma poitrine, la nuque ployée sous le joug.
     
    J’ai songé à mon père qui avait agonisé plusieurs mois, les poumons bloqués, survivant à l’aide d’une assistance respiratoire, ce masque et ces tubes qui déformaient son visage, ne laissant voir que ses yeux fixes qui suppliaient, demandaient grâce, lui aussi pauvre décharné que la mort avait déjà rongé.
    Et j’ai murmuré, la peur me tordant le ventre :
    « Ne crains pas ce que tu vas subir. »
    C’était là un verset de l’Apocalypse de Jean qui s’adressait à chaque être, à Déméter comme à mon père, à moi comme à Marie !
    J’ai répété cette pieuse médication, mensonge et espérance.
    Et je me suis agenouillé, le front appuyé au tronc d’un olivier.
     
    Peu à peu, j’ai recouvré ma respiration. Je me suis redressé et j’ai marché lentement, refoulant les battements de mon cœur au fond de ma poitrine, atteignant enfin le port de Skala, rassuré d’apercevoir l’enseigne bleue de l’hôtel Xénia.
    J’ai poussé la porte de ma chambre, imaginant que j’allais m’ensevelir dans le sommeil. Et j’ai murmuré cet autre verset de l’Apocalypse qui transcrit la parole de Dieu :
    « Sois fidèle jusqu’à la mort, et je te donnerai la couronne de vie. »
     
    Et cependant je n’ai pas fermé l’œil de toute cette nuit-là.

5
    Nuit violente, oppressante.
    Je me suis débattu comme un homme qui se noie, repoussant la couverture, froissant les draps, me levant, me recouchant, contemplant ce lit défait, cet oreiller roulé en boule, m’asseyant enfin à la petite table qui, entre les deux fenêtres, me servait de bureau.
     
    Le livre de l’Apocalypse était resté ouvert. J’ai lu le verset 9 du chapitre V :
    « Tu es digne de prendre le livre et d’en briser les sceaux, car tu as été égorgé, et avec ton sang tu as acheté pour Dieu parmi toute tribu, langue, peuple et nation. »
    Je me suis persuadé que Déméter avait recherché ce sacrifice qui, par la mort, le sauvait de la mort.
    J’ai relevé la tête. Il m’a semblé voir, sur les murs de la chambre, la trace brune de son sang, leportrait de la Pauvre Décharnée, Marie, dont les yeux fixes me rappelaient ceux de mon père.
    J’ai ouvert les volets.
    Je me suis penché. Tout était paisible : les quais du port déserts, la mer lisse, le ciel impavide. Mais, au lieu de m’apaiser, cette quiétude m’affolait. J’aurais voulu que le va-et-vient des vagues, les hurlements du vent, le fracas des coques des voiliers et des barques qui se heurtaient, m’envahissent, comblent ce vide que l’angoisse creusait dans
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