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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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a-t-il
ordonné.
    Discipliné, Pindonell a commandé le feu. Quand le premier
coup de canon est arrivé en réponse, on a pu constater que la bombe n’était
passée qu’à quelques pouces du chapeau brandi par Hureau, et avait éclaté entre
celui-ci, Pindonell et le colonel Dejermon, en les emportant tous les trois.
Desfosseux n’a dû son salut qu’au fait qu’il se trouvait un peu plus loin, à la
recherche d’un endroit discret où soulager sa vessie, juste à côté de sacs de sable
qui ont amorti le choc. Les trois morts ont été enterrés près de Chiclana, à
l’ermitage de Santa Ana, et tous les espoirs de Desfosseux de bombarder Cadix
avec des mortiers sont descendus dans la tombe en même temps que le baron de
Sénarmont. En lui laissant au moins la consolation de pouvoir le raconter.
    — Un pigeon, dit le lieutenant Bertoldi en désignant le
ciel.
    Desfosseux lève la tête et regarde dans la direction que lui
indique son subordonné. C’est vrai. Volant en ligne droite depuis Cadix, l’oiseau
achève de traverser la baie, passe au-dessus du discret colombier qui jouxte la
baraque des artilleurs et survole la côte en se dirigeant vers Puerto Real.
    — Ce n’est pas un des nôtres.
    Les deux militaires échangent un coup d’œil, puis le
lieutenant se détourne avec un sourire de connivence. Bertoldi est le seul avec
qui Desfosseux partage ses secrets professionnels. L’un de ceux-ci est que,
sans pigeons voyageurs, il serait impossible de mettre des points rouges et
noirs sur la carte de Cadix.
     
    *
     
    Les navires des tableaux encadrés sur les murs et les
modèles à l’échelle protégés par des vitrines semblent naviguer dans la
pénombre du petit cabinet de travail meublé en acajou, autour de la femme qui
écrit derrière son bureau, dans le rectangle éclairé par un mince rayon de
soleil qui passe à travers les rideaux presque entièrement fermés d’une
fenêtre. Cette femme se nomme Lolita Palma et a trente-deux ans : un âge
auquel n’importe quelle Gaditane moyennement lucide a perdu tout espoir de se
marier. De toute façon, depuis longtemps, le mariage n’est pas une de ses
principales préoccupations ; il n’en fait même pas partie. Elle a d’autres
soucis. L’heure de la prochaine marée haute, par exemple. Ou les agissements
d’une felouque corsaire française qui opère entre Rota et la baie de Sanlúcar.
Toutes choses qui, aujourd’hui, ont à voir avec une arrivée imminente qu’un
employé de la maison, de garde au poste d’observation situé sur la terrasse,
suit à travers un télescope depuis que la tour Tavira a signalé une voile à
l’ouest : celle d’un navire en train d’entrer dans la baie, portant toute
sa toile, à deux milles au sud des basses de Rota. Il pourrait s’agir du Marco
Bruto, brigantin de deux cent quatre-vingts tonneaux et quatre
canons : deux semaines de retard, revenant de Veracruz et de La Havane
avec une cargaison prévue de café, cacao, bois de campêche et numéraire pour
une valeur de quinze mille trois cents pesos. Son nom figure déjà dans
l’inquiétante quadruple colonne qui enregistre les aléas des navires liés au
commerce de la ville : en retard, sans nouvelles, disparus, perdus. Les
deux dernières subdivisions portant parfois ce commentaire définitif et sans
appel : avec tout son équipage.
    Lolita Palma penche la tête sur la lettre qu’elle écrit en
anglais, s’arrêtant pour consulter les chiffres notés sur une page d’un gros
livre de changes, poids et mesures de commerce ouvert sur le bureau près de
l’encrier, un gobelet d’argent accompagné d’un bouquet de plumes bien taillées,
du sablier et de tout ce qu’il faut pour cacheter. La feuille de papier est
posée sur un sous-main de cuir qui a appartenu à son père et porte toujours les
initiales TP  : Tomás Palma. La lettre, à en-tête de la raison
sociale de la famille – Palma & Hijos, Palma & Fils,
société fondée devant notaire à Cadix en l’an 1754 –, est adressée à un
correspondant aux États-Unis d’Amérique et énumère un certain nombre
d’irrégularités constatées dans une cargaison de 1210 fanègues de farine
qui a mis quarante-cinq jours à faire la traversée de Baltimore à Cadix dans
les cales de la goélette Nueva Soledad, arrivée au port voici une
semaine, et qui a été réexpédiée par d’autres bateaux vers les côtes de Valence
et de Murcie, où la disette sévit et où la
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