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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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proportion du temps que le projectile
reste dans l’air. Vous me suivez ? – Il était évident qu’ils avaient
du mal à le suivre ; mais, voyant un membre de la commission acquiescer,
Desfosseux a décidé d’augmenter la dose. – La question, messieurs, est
d’obtenir la force nécessaire pour que la pierre aille le plus loin possible,
tout en réduisant au minimum le temps qu’elle passe en l’air. Car le problème
que posent nos pierres, messieurs, est que ce sont des bombes munies de mèches
à retardement et dont l’explosion doit forcément se produire au bout d’un
certain temps, qu’elles atteignent ou non leur objectif. Il faut y ajouter
d’autres difficultés, le frottement de l’air, la dérive sous l’effet du vent et
tout le reste : axes verticaux, distances parcourues proportionnelles au
carré du temps écoulé conformément à la loi de la chute libre, etcetera. Vous
me suivez toujours ? – Il a constaté avec satisfaction que, cette
fois, plus personne ne le suivait. – Enfin, vous savez déjà tout ça.
    — D’accord : mais est-ce que, oui ou non, les
bombes arrivent sur Cadix ? s’est enquis un Espagnol, résumant le
sentiment général.
    — Nous nous y employons, messieurs. – Desfosseux
regardait du coin de l’œil l’aide de camp Orsini qui avait sorti sa montre de
sa poche et regardait l’heure. – Nous nous y employons.
    Un œil collé au micromètre, le capitaine d’artillerie
contemple Cadix et ses remparts blancs qui resplendissent dans les eaux de la
baie couleur d’émeraude. Proche et inaccessible – un autre homme que Simon
Desfosseux ajouterait peut-être comme une belle femme, mais ce n’est pas
son genre. En réalité, les bombes françaises arrivent sur divers points des
lignes ennemies, y compris Cadix ; mais à la limite de leur portée et
souvent sans même exploser. Ni les travaux théoriques du capitaine, ni
l’application et la compétence des artilleurs, vétérans de l’armée impériale,
n’ont réussi jusqu’à maintenant à faire que les bombes aillent plus loin que
2250 toises ; distance qui, au maximum, permet d’atteindre les
remparts de l’est et leurs abords immédiats, mais rien de plus. Et, même ainsi,
la plus grande part des bombes restent inertes, parce que la mèche de
l’espolette s’est éteinte au cours du trajet : une moyenne de vingt-cinq
secondes en l’air, entre le départ et l’impact. Alors que l’idéal technique
caressé par Desfosseux, le tourment qui le maintient éveillé toute la nuit à
faire des calculs à la lueur d’une chandelle et l’oblige à passer ses journées
plongé dans un cauchemar de logarithmes, serait une bombe dont le retard aille
au-delà de quarante-cinq secondes, tirée par une pièce d’artillerie qui
permettrait de dépasser les 3 000 toises. Au mur de sa baraque, à
côté des cartes, diagrammes, tables et feuilles de calcul, le capitaine a
affiché un plan de Cadix sur lequel il note les lieux de chute des
bombes : un point rouge pour celles qui explosent et un point noir pour
celles qui tombent éteintes. La quantité de points rouges reste tristement
minime et, de plus, concentrée en totalité, comme tous les points noirs, sur la
partie orientale de la ville.
    — À vos ordres, mon capitaine.
    Le lieutenant Bertoldi vient d’arriver sur la plate-forme.
Desfosseux, qui continue de regarder dans le micromètre et manœuvre la molette
de cuivre pour calculer la hauteur et la distance des tours de l’église du
Carmel, s’écarte du viseur et s’adresse à son subordonné :
    — Mauvaises nouvelles de Séville. Quelqu’un a eu la
main lourde avec l’étain en fondant les obusiers de 9 pouces.
    Bertoldi fronce le nez. C’est un Italien petit et ventru,
avec des favoris blonds, l’allure d’un bon vivant. Piémontais, cinq ans de
service dans l’artillerie impériale. Autour de Cadix, les assiégeants ne
parlent pas seulement la langue française. Il y a des Italiens, des Polonais,
des Allemands, et d’autres encore. Sans compter les troupes auxiliaires
espagnoles qui ont prêté serment au roi Joseph.
    — Accident ou sabotage ?
    — Le colonel Fronchard dit que c’est un sabotage. Mais
vous connaissez le personnage… Je ne m’y fie pas.
    Bertoldi esquisse un sourire, ce qui achève de donner à sa
physionomie un air juvénile et sympathique. Desfosseux aime bien son adjoint,
en dépit de son penchant excessif pour le vin de Jerez et
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