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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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les señoritas d’El Puerto de Santa María. Ils sont ensemble depuis qu’ils ont traversé les
Pyrénées, il y a un an, après le désastre de Bailén. Parfois, quand il a un peu
trop abusé de la bouteille, Bertoldi se laisse aller à le tutoyer amicalement.
Desfosseux ne le réprimande jamais pour cela.
    — Moi non plus, mon capitaine. Le directeur espagnol de
la fonderie, le colonel Sánchez, n’a pas le droit de s’approcher des fours…
C’est Fronchard qui s’occupe de tout, directement.
    — En tout cas, il a dégagé sa responsabilité de façon
expéditive. Lundi, il a fait fusiller trois ouvriers espagnols.
    — Affaire classée, donc.
    — Exactement, confirme Desfosseux, caustique. Et nous
restons sans les obusiers.
    Bertoldi lève un doigt pour objecter :
    — Permettez ! Nous avons toujours Fanfan.
    — Oui, mais ce n’est pas suffisant.
    En parlant, le capitaine jette un regard, par la meurtrière
latérale, en direction d’une redoute proche, protégée par des sacs de sable et
des talus, où se trouve un énorme cylindre de bronze incliné à quarante-cinq
degrés et recouvert d’une bâche : Fanfan, pour les amis. Il s’agit –
ce nom lui a été donné par Bertoldi en l’aspergeant de manzanilla de
Sanlúcar – du prototype d’un obusier Villantroys-Ruty de 10 pouces,
capable d’expédier des bombes de 80 livres sur les remparts orientaux de
Cadix, mais pas une toise plus loin pour le moment. Et encore, par vent
favorable. Quand souffle le ponant, les projectiles ne font peur qu’aux
poissons de la baie. Sur le papier, les obusiers fondus à Séville auraient dû
bénéficier des essais et des calculs exécutés avec Fanfan. Mais c’est désormais
impossible à vérifier, du moins pendant un certain temps.
    — Fions-nous à lui, propose Bertoldi, résigné.
    — Je lui fais confiance, vous le savez. Mais Fanfan a
ses limites… et moi aussi.
    Le lieutenant l’observe, et Desfosseux sait qu’il remarque
ses cernes sous les yeux. Son menton mal rasé, il le craint, ne plaide pas non
plus en sa faveur. Tout cela nuit à son image martiale.
    — Vous devriez dormir un peu plus.
    — Et vous – une mimique complice atténue le ton
sévère de Desfosseux –, vous devriez vous mêler de vos affaires.
    — C’est une affaire qui me regarde, mon capitaine. Si
vous tombez malade, il me faudra traiter directement avec le colonel Fronchard…
Et dans ce cas, je préfère passer tout de suite à l’ennemi. À la nage. Vous
savez que dans Cadix ils vivent mieux que nous.
    — Je vous ferai fusiller, Bertoldi. Personnellement.
Après quoi, je danserai sur votre tombe.
    Au fond, Desfosseux sait que le revers essuyé à Séville ne
change pas grand-chose. Le temps passé devant Cadix lui permet de conclure que,
vu les conditions particulières du siège, ni les canons conventionnels ni les
obusiers ne sont capables de bombarder convenablement la place. Lui-même, après
avoir étudié des situations semblables, comme le siège de Gibraltar en 1782,
est partisan d’utiliser des mortiers de gros calibre, mais aucun de ses
supérieurs ne partage cette idée. Le seul qu’il avait réussi à convaincre,
après beaucoup d’efforts, était le commandant de l’artillerie, le général
Alexandre Hureau, baron de Sénarmont, mais il n’est plus là pour le soutenir.
Après s’être illustré à Marengo, Friedland et Somosierra, le général était si
sûr de lui et méprisait tant les Espagnols – que, comme tous les Français,
il appelle les manolos, terme qui dans leur esprit correspond à celui de
racaille – qu’au cours d’une inspection de la batterie Villatte, située
face à l’île de León sur le versant de Chiclana, il a voulu à tout prix
expérimenter de nouveaux affûts en compagnie du colonel Dejermon, du capitaine
Pindonell, chef de la batterie, et de Simon Desfosseux lui-même, en service
commandé. Le général a exigé que les sept canons de la position fassent feu sur
les lignes espagnoles, et plus concrètement en direction de la batterie de
Gallineras. Et, sans écouter Pindonell qui lui faisait remarquer que cela
attirerait immanquablement en retour le feu de l’ennemi, très puissant à cet
endroit, le général, qui se considérait comme un grand artilleur, a levé son
chapeau et dit qu’il se faisait fort de s’en servir pour cueillir avec
exactitude chaque grenade des manolos qui arriverait.
    — Alors cessez de discuter, et tirez !
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