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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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miens.
    — Poursuivez, s’il vous plaît. Dites le fond de votre
pensée.
    Barrull tarde un peu à répondre, tandis que Rogelio Tizón
réfléchit à l’échange auquel il a assisté, adossé au mur en fumant un cigare.
Observant le professeur qui, assis sur une chaise bancale à la lumière d’une
lampe à huile, parlait avec l’homme couché sur une vieille paillasse à même le
sol, des fers aux mains et aux pieds, et un mauvais pansement autour de la
taille. Ce bruissement des mots prononcés à voix basse, presque tout le temps
des murmures, tandis que la flamme huileuse faisait briller la peau graisseuse
du marchand de savon et se reflétait dans ses prunelles dilatées par une goutte
de laudanum – une seule – versée dans un verre d’eau. Je veux qu’il
reste lucide et qu’il n’ait pas trop mal, avait expliqué Tizón. Qu’il soit
capable de raisonner. Juste un moment, et pour que vous puissiez parler
ensemble. Ensuite, qu’il souffre ou non, je m’en fiche.
    — Il est clair que cet homme se rebelle contre notre
vision prosaïque du monde, dit finalement Barrull. Pour lui, fabriquer des
savons n’est pas un simple travail, mais une affaire de haute précision :
cela requiert de combiner avec une exactitude absolue les différents éléments
qu’il emploie. Qu’il touche et qu’il sent. Et qui sont destinés à d’autres
peaux, d’autres chairs. De jeunes femmes, surtout… Celles qui entraient tous
les jours dans sa boutique pour lui demander ceci ou cela.
    — Le fils de pute.
    — Ne simplifiez pas, commissaire.
    — Vous insinuez qu’en plus d’être un scientifique, il est
un artiste ?
    — C’est probablement ainsi qu’il se considère. Il se
peut que cette idée lui permette de s’élever au-dessus de sa condition de
simple manipulateur de substances. Il pourrait avoir un fond sensible. Et ce
serait à cause de cette sensibilité qu’il tue.
    Sensibilité. Le mot arrache à Tizón un rire amer.
    — Le fouet tressé avec du fil de fer… Il l’avait avec
lui, là-bas dans la crypte. Nous l’avons retrouvé.
    — Je suppose que c’est la confrérie des pénitents qui
lui en a donné l’idée.
    — Il n’est même pas membre en titre. Seuls les gens
d’origine noble sont admis dans la Sainte Crypte… Il fait fonction d’assistant
pour les cérémonies. Une sorte d’acolyte ou de factotum.
    Tizón regarde le ciel. Au-dessus des murs démantelés et
sinistres du château qui baigne dans l’ombre, luisent les étoiles. Elles sont
aussi froides que ses pensées, maintenant. Jamais, se dit-il, il ne s’était
senti aussi lucide. Aussi clair face au présent et à l’avenir.
    — Comment pouvait-il prévoir les bombes ?
    — Il s’est formé tout seul par l’expérience. Il a été
capable de deviner que Cadix est un espace très particulier, modelé par la mer,
les vents et la structure urbaine qui les affronte et les canalise. Pour lui,
ce n’est pas seulement un ensemble de constructions habitées par des gens, mais
un conglomérat d’air, de silences, de sons, de température, de lumières,
d’odeurs…
    — Nous ne nous trompions donc pas.
    — Absolument pas. Vous l’avez vous-même prouvé. Comme
cet homme, vous avez composé dans votre esprit une carte originale de la ville,
faite de tous les éléments de cet ordre. Une ville parallèle. Occulte.
    Un long silence s’installe, que le policier ne veut pas
interrompre. Puis Barrull s’agite un peu dans la pénombre de la lanterne.
Inquiet.
    — Par tous les diables, dit-il. C’est compliqué,
commissaire… Je ne peux qu’imaginer. J’ai parlé avec lui à peine une
demi-heure. Je ne suis pas sûr que me mêler à ça…
    Tizón lève une main, en repoussant toute excuse. Un geste
d’impatience. Cette nuit, le temps est compté.
    — Les bombes… Dites-moi où se trouve la clef de l’après
et de l’avant.
    Cette fois, le silence est bref. Un instant de réflexion.
Barrull est de nouveau immobile. Je peux aventurer une théorie, répond-il
finalement. Une simple idée sans base scientifique. Quand les canons français
ont commencé à tonner, le monde compliqué de notre chimiste-marchand de savon a
pu se développer dans des directions insoupçonnées. Peut-être, au début, a-t-il
eu peur d’être la victime d’un boulet de canon. Peut-être se précipitait-il
pour voir les points de chute, mû par la satisfaction d’être resté indemne. Il
se peut qu’à force de se
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