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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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plus
de corriger les imprécisions de la science ou de la technique. Ni même de
combler par la souffrance d’autrui le vide de sa fille perdue… Il voulait
confirmer, encore et toujours, que lui, l’humble artisan, avait accédé aux
arcanes de la connaissance.
    — De là, le défi final.
    — Je crois. Il a su qu’on était sur ses traces et il a
accepté la partie. C’est pour cela qu’il a attendu si longtemps avant de tuer
de nouveau. En guettant ceux qui le guettaient. Et quand il s’est senti prêt,
il a décidé de prendre une pièce qui n’était pas celle que vous aviez prévue.
Il l’a fait, mais ça a mal tourné, et ça juste pour une simple question de
quelques minutes.
    L’éclat de rire du policier résonne entre les murs noirs du
château. Aussi sinistre que le décor.
    — L’envie d’uriner de Cadalso… Le hasard !
    — Exact. Le marchand de savon ne l’avait pas incluse
dans son calcul des probabilités.
    Ils gardent tous les deux le silence. L’air est toujours
immobile, sans un souffle de brise. Le ciel est un rideau noir criblé de coups
d’épingle.
    — Je suis sûr, ajoute Barrull au bout de quelques
instants, qu’il n’éprouvait même pas de plaisir quand il tuait.
    — C’est probable.
    Bruit de pas. Deux ombres se profilent de l’autre côté de
l’ouverture dans le mur, venant de la rue. L’une, grande, massive, s’avance un
peu, se découpant dans la pénombre. Tizón reconnaît Cadalso.
    — Il est là, monsieur le commissaire.
    — Vous êtes venus seuls ?
    — Oui. Comme vous l’avez ordonné.
    Le policier se tourne vers Hipólito Barrull.
    — Je vais vous prier de partir, professeur… Je vous suis
très reconnaissant. Mais, maintenant, vous devez vous en aller.
    Barrull le regarde, inquiet. Interrogateur. Deux nouveaux
reflets de la lanterne dans ses verres de lunettes.
    — Qui est l’autre ?
    Tizón hésite un instant. Et puis quelle importance, conclut-il.
Au point où nous en sommes.
    — Le père de la dernière fille morte.
    Barrull recule, comme s’il voulait se protéger de quelque
chose dans l’obscurité. Introduire une distance. Un cavalier sur l’échiquier,
pense le policier. Se retirant, d’un soubresaut, d’une case dangereuse.
    — Que comptez-vous faire ?
    C’est le genre de questions auxquelles, au fond, il est
préférable de ne pas donner de réponse. Et Tizón ne prend pas la peine d’en
donner une. Il est si serein que, malgré la chaleur de la nuit, il sent que ses
mains restent froides.
    — Partez, répète-t-il. Vous n’êtes jamais venu ici.
Personne n’est au courant.
    Le professeur tarde un peu à bouger. Finalement, il fait un
pas vers Tizón, ce qui éclaire son visage. Ombres montant du sol, double reflet
sur les verres. Grave.
    — Prenez garde, murmure-t-il. Les temps ont changé. La
Constitution… Vous savez. Les nouvelles lois.
    — Oui. Les nouvelles lois.
    Ils se serrent la main : un contact ferme, prolongé de
la part de Barrull, qui observe Tizón comme s’il le faisait pour la dernière
fois. Un instant, il semble sur le point d’ajouter quelque chose, et finalement
il hausse les épaules.
    — Ç’a été un honneur, commissaire. De vous aider.
    — Adieu, professeur.
    Celui-ci fait volte-face, presque avec brusquerie, passe par
la brèche dans le mur et disparaît dans la rue du Silence. Tizón sort l’étui de
cuir et prend un cigare pendant que Cadalso et l’autre ombre s’approchent. La
lanterne posée sur le sol éclaire, à côté du sbire, un homme de taille moyenne
et d’aspect humble qui fait quelques pas et demeure immobile, silencieux.
    — Tu peux t’en aller, ordonne Tizón à son adjoint.
    Cadalso obéit, en se retirant lui aussi par la brèche. Après
quoi, le commissaire se tourne vers le nouveau venu. Un éclat métallique,
observe-t-il, brille à sa ceinture.
    — Il est en bas, dit-il.
     
    *
     
    L’escalier en colimaçon plonge dans les profondeurs comme la
noire spirale d’un cauchemar. Felipe Mojarra descend à tâtons, en posant ses
mains sur le mur humide et froid, évitant les décombres accumulés sur les
marches. Par moments, il s’arrête pour écouter, mais tout ce qu’il perçoit,
c’est le courant d’air raréfié de la cavité dans laquelle il pénètre.
L’incrédulité et la douleur – le passage des heures et la vie qui
continue, même machinalement, habituent à tout – ont depuis longtemps fait
place à un désespoir
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