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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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sourire triste.
Complice. Depuis si longtemps qu’ils vivent côte à côte, les mots leur sont
inutiles. Ils repartent aussi pauvres qu’ils sont arrivés. Ce n’est pas le cas
de leurs chefs : ces généraux rapaces qui emportent les vases sacrés des
églises et l’argenterie des demeures élégantes où ils ont logé.
    — Quelle est la consigne pour l’officier qui reste avec
les canons de 8 ?
    — Continuer de tirer jusqu’à ce que nous ayons tous
quitté les lieux ; il ne manquerait plus que les manolos débarquent trop
tôt… À minuit, il les enclouera et partira à son tour.
    Le lieutenant émet un petit rire sceptique.
    — J’espère qu’il tiendra jusque-là et qu’il ne prendra
pas la poudre d’escampette avant l’heure.
    — Moi aussi, je l’espère.
    Une énorme explosion sur la côte, à deux milles au
nord-ouest. Un champignon de fumée noire s’élève au-dessus du fort de Santa
Catalina.
    — Eux aussi se dépêchent, observe Bertoldi.
    Desfosseux regarde à l’intérieur de la redoute des obusiers.
Les sapeurs sont passés par là : les affûts en bois sont brisés à coups de
hache et ceux en fer ont été démontés. Les gros cylindres de bronze gisent à
terre, comme autant de cadavres après un combat sans merci.
    — Comme vous le craigniez, mon capitaine, nous n’avons
pu emporter que trois obusiers. Nous n’avons pas les hommes ni les moyens de
transport… Il faut laisser le reste.
    — Combien Labiche en a-t-il jeté à l’eau ?
    — Un. Mais il n’a plus rien pour porter les autres
jusqu’à la mer. Les sapeurs vont venir y mettre une charge et obturer les bouches.
Nous essaierons au moins de les fissurer.
    Desfosseux saute à l’intérieur, entre les fascines et les
planches brisées, et s’approche des pièces. Il est impressionné de les voir
ainsi. Le pauvre Fanfan est là, gisant sur les débris de son affût. Son bronze
poli, ses presque neuf pieds de longueur et un pied de diamètre font penser à
un énorme cétacé noir, mort, échoué sur la terre.
    — Ce ne sont que des canons, mon capitaine. Nous en
fondrons d’autres.
    — Pour quoi faire ?… Pour un autre Cadix ?
    En proie à une singulière mélancolie, Desfosseux caresse du
bout des doigts les marques sur le métal. Les poinçons de la fonderie, les
traces récentes des coups de marteau sur les tourillons. Le bronze est
intact : pas une fissure.
    — Les braves enfants, murmure-t-il. Fidèles jusqu’à la
fin.
    Il se lève, en se sentant comme un chef félon qui
abandonnerait ses hommes. Les pièces de 8 livres de la batterie du bas
continuent de faire feu. Une grenade espagnole, tirée de Puntales, explose à
trente pas et l’oblige de nouveau à se baisser, tandis que Bertoldi, avec des
réflexes de chat, saute du parapet et tombe sur lui au milieu des pierres et
des éclats qui volent tout près. Presque aussitôt, on entend des cris venant de
l’endroit où la bombe est tombée : plusieurs malheureux viennent d’être
touchés, en déduit Desfosseux, pendant qu’ils se relèvent tous les deux en
secouant la terre. Encore la malchance, pense-t-il. À la dernière heure, alors
que les ambulances sont déjà, pour le moins, à Jerez. Le nuage de poussière ne
s’est pas tout à fait dissipé, quand apparaît sur le parapet le lieutenant du
génie avec plusieurs hommes qui transportent de lourdes caisses contenant des
outils et des explosifs.
    — On dirait que ça les fait jouir, ces salauds.
    Laissant Fanfan et ses frères à la merci des artificiers, le
capitaine et son subordonné quittent la redoute et empruntent la passerelle qui
mène aux baraquements, où tout commence également à flamber. La chaleur de
l’incendie est insoutenable et donne l’impression que les flammes font onduler
l’air au loin, là où des files en désordre de cavaliers, d’artilleurs et de
fantassins qui poussent des chariots et y chargent toutes sortes de ballots
convergent vers le flot bleu, brun et gris qui se déplace lentement sur le
chemin d’El Puerto. Douze mille hommes battent en retraite.
    — Il nous reste un bon bout de chemin à faire, commente
Bertoldi. Jusqu’à la France.
    — Plus loin encore, je le crains. On dit que c’est
maintenant le tour de la Russie.
    — Merde.
    Simon Desfosseux regarde une dernière fois derrière lui,
vers la ville lointaine, inexpugnable, qui se teinte progressivement de rouge
dans le crépuscule de la baie. J’espère,
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