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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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son chef.
    — C’est vrai, monsieur le commissaire. Mais ce sont des
gens respectables. Religieux. Je veux dire que le lieu est…
    — Privé ?… Saint ?… Inviolable ?… Hors
de tout soupçon ?
    Tout le corps massif de l’adjoint semble sur le point de se
liquéfier.
    — Eh bien… C’est à peu près ça…
    Tizón l’interrompt, un doigt levé.
    — Écoute-moi bien, Cadalso…
    — Oui, monsieur le commissaire.
    — Je chie sur ta putain de mère.
    Tizón se désintéresse du sbire. Un long frisson le parcourt,
qui se prolonge en un soupir réprimé et silencieux. Presque de plaisir. À la
surprise initiale puis à l’accès de rage succède maintenant une expression
féroce, concentrée. C’est le comportement d’un animal dressé qui détecte –
ou retrouve – enfin une trace toute fraîche. D’un seul coup, tout ce qui
était intuition devient certitude. En descendant l’escalier sous le regard
plein de souffrance du Christ flagellé, le commissaire sent battre son propre
sang qui, lentement, fortement, chasse la fatigue. C’est comme s’il venait de
passer de nouveau par un de ces lieux impossibles, ou improbables, où le
silence se fait absolu et l’air reste en suspens. La cloche de verre : le
vorticule qui conduit à la case suivante sur l’échiquier de la ville et de sa
baie. Il a enfin vu la partie. Et donc, au lieu de se précipiter, de lancer un
cri de joie ou d’émettre un grognement de satisfaction devant la perspective de
la piste retrouvée, le commissaire traverse en diagonale le sol de dalles
noires et blanches, sans desserrer les lèvres, à pas très lents, en regardant
tout sans dédaigner un seul indice, pendant qu’il savoure la sensation de
picotement dans ses doigts serrés sur la canne. Il s’approche ainsi de la porte
close de la crypte. Ah, pense-t-il soudain, si ce moment d’extrême jouissance
pouvait ne jamais s’éteindre !
    — Si vous voulez, je vais faire ouvrir, propose
Cadalso, qui marche derrière. C’est l’affaire d’un moment.
    — Vas-tu te taire, oui ou merde ?
    La serrure est conventionnelle, faite pour une grande clef.
Comme quantité d’autres. Tizón sort de sa poche son trousseau de rossignols et
libère le pêne en moins d’une minute. Un jeu d’enfant. Un déclic et la voie est
libre, donnant accès à une crypte qui ne reçoit aucune lumière de l’extérieur.
Tizón n’y était jamais venu.
    — Va chercher de la lumière dans la chapelle,
ordonne-t-il à Cadalso.
    D’en bas monte une odeur d’humidité et de renfermé : un
air glacé qui s’intensifie et enveloppe Tizón à mesure qu’il pénètre dans la
crypte, éclairé par son adjoint qui le suit en portant bien haut un gros cierge
allumé. L’ombre du commissaire glisse vers l’intérieur en se projetant sur les
murs. Chaque pas résonne dans la cavité. À la différence de la chapelle du
haut, la crypte n’a pas de décoration : ses murs sont nus et austères.
C’est là que les pénitents de la confrérie s’adonnent à leurs rites. La lumière
que tient le sbire éclaire une tête de mort et deux tibias peints sur un arc de
la voûte. Dessous, il y a une tache sèche et brune. Une trace de sang.
    — Sainte Vierge ! s’exclame Cadalso.
    L’homme est recroquevillé au fond de la crypte, dans un
angle du mur : une forme obscure qui ahane et gémit, dents serrées, comme
une bête aux abois.
     
    *
     
    — Vous permettez, mon capitaine ?
    Simon Desfosseux écarte l’œil droit de l’oculaire du
télescope Dollond, en gardant imprimée sur la rétine l’image des tours de
l’église San Antonio : 2 870 toises, et il n’a pu arriver
jusqu’à elles, pense-t-il avec mélancolie. La portée maximale atteinte est de
2 828 toises. Aucune bombe française tombée sur Cadix n’est allée
plus loin. Et n’ira jamais plus loin.
    — Allez-y, Labiche. Prenez-le.
    Avec l’assistance de deux soldats, le sergent démonte le
télescope et plie le trépied pour mettre le tout dans des housses. Les autres
instruments optiques de la tour d’observation sont déjà chargés sur des
chariots. Le Dollond a été laissé jusqu’à la fin, pour suivre les ultimes tirs
exécutés depuis la Cabezuela. C’est à Fanfan qu’est revenu l’honneur du dernier,
il y a vingt minutes. Une bombe de 100 livres lestée avec du plomb et une
charge inerte, un tir trop court qui n’a pas dépassé les remparts. Triste
final.
    — Vous avez d’autres
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