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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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heures de travail. Le reste de la maisonnée
compte sept domestiques : le vieux Santos, une servante, une esclave
noire, une cuisinière, la jeune Mari Paz, un majordome et un cocher.
    — Comment te sens-tu, maman ?
    — Comme d’habitude.
    Une chambre à coucher, lumière tamisée, fraîche en été et
bien chauffée en hiver. Un crucifix en ivoire au-dessus du lit en fer laqué de
blanc, une grande fenêtre avec un balcon à grille et jalousie qui donne sur la
rue ; et sur celui-ci, des bordures de fougères, géraniums et basilics en
pots. Une coiffeuse avec un miroir, un autre miroir pour le corps entier, une
armoire à glace. Beaucoup de miroirs et beaucoup d’acajou, tout cela bien dans
la tradition gaditane. Classique avant tout. Une Vierge du Rosaire encadrée au-dessus
d’une bibliothèque, également en acajou, contenant les dix-sept tomes in-octavo
de la collection complète du Correo de las damas. Seize, en réalité. Le
dix-septième repose, ouvert, sur la courtepointe, devant la femme qui, à demi
assise, soutenue par des oreillers, penche un peu la joue pour que sa fille y
pose un baiser. Elle sent l’huile de Macassar qu’elle s’applique sur les mains
et les poudres de frangipane dont elle se blanchit la figure.
    — Tu en as mis du temps à venir me voir. Je suis réveillée
depuis un bon moment.
    — J’avais du travail, maman.
    — Tu as toujours du travail.
    Lolita Palma approche une chaise et s’assied à côté de sa
mère, après avoir arrangé les oreillers. Patiente. Un instant, elle pense à son
enfance, quand elle rêvait de parcourir le monde à bord de ces navires aux
voiles blanches qui appareillaient lentement dans la baie. Puis elle pense au
brigantin, à la polacre, ou à autre chose encore. Au bateau inconnu qui, en ce
moment, arrive de l’ouest toutes voiles dehors, gréement tendu à l’extrême,
esquivant la chasse du corsaire.
     
    *
     
    Se tenant à un hauban du mât d’artimon, Pepe Lobo observe
les mouvements de la felouque qui tente de lui couper la route de la baie. Ses
dix-neuf hommes font la même chose, groupés au pied des mâts et à l’avant, sous
l’ombre de toute la toile déployée. Si le capitaine de la polacre – partie
de Lisbonne il y a cinq jours avec une cargaison de morue, fromage et
saindoux – ne connaissait pas tout ce que les caprices de la mer peuvent
réserver de mauvaises comme de bonnes surprises, il serait plus tranquille
qu’il ne l’est. Le Français est encore loin, et la Risueña  –
« La Rieuse » – navigue au largue, poussée par la marée et une
bonne brise par tribord qui lui permettra, si tout va bien, de doubler les
Puercas sans changer de bord, sous la protection des canons des forts espagnols
de Santa Catalina et de la Candelaria.
    — Nous avons plus de temps qu’il n’en faut, dit le
second.
    C’est un individu olivâtre, la peau grasse. Bonnet de laine
et barbe d’une semaine. De temps en temps, il se retourne pour surveiller d’un
œil soupçonneux les deux timoniers qui sont à la barre.
    — Nous arriverons, insiste-t-il entre ses dents, comme
s’il priait.
    Pepe Lobo lève à demi la main, prudent.
    — Ne soyez pas si sûr, lieutenant. Ne vendez pas la
peau de l’ours avant de l’avoir tué.
    L’autre crache dans la mer d’un air hargneux. Hostile.
    — Je ne suis pas superstitieux.
    — Moi si. Alors fermez votre putain de gueule.
    Une brève pause. Tendue. L’eau qui court le long de la
coque. Bruit du vent dans le gréement et grincements des mâts et des haubans à
chaque coup de la houle. Le capitaine continue de regarder dans la direction du
corsaire. Le second, lui, regarde le capitaine.
    — Vous m’insultez. Je ne suis pas disposé à supporter…
    — Je vous ai dit de la boucler. Ou je vous la bouclerai
moi-même.
    — Des menaces, commandant ?
    — Parfaitement.
    Tandis qu’il parle avec naturel, sans quitter l’autre bateau
des yeux, Pepe Lobo libère les boutons dorés de sa veste de drap bleu. Il sait
que des matelots tout proches se poussent du coude, tendent l’oreille et les
fixent des yeux pour ne rien perdre.
    — C’est intolérable, proteste le second. Je me
plaindrai dès que nous serons à terre. Ces hommes sont témoins.
    Le capitaine hausse les épaules.
    — Dans ce cas, ils confirmeront que je vous ai brûlé la
cervelle pour avoir discuté mes ordres alors que nous avions un corsaire à nos
trousses.
    Passée dans la large bande noire
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