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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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qui lui ceint la taille,
luit, maintenant bien visible, la crosse de métal et de bois d’un pistolet.
L’arme n’est pas destinée à l’ennemi qui s’approche, mais à maintenir l’ordre
sur son propre navire. Ce ne serait pas la première fois qu’un membre de
l’équipage perdrait la tête au milieu d’une manœuvre délicate. Ni qu’il
réglerait la question sans états d’âme. Son second est un personnage inquiet et
haineux, toujours le mot pour répondre, qui digère mal de ne pas être lui-même
au commandement de la polacre. En quatre traversées, il a tout fait, de
récriminations en récriminations, pour mériter un traitement que peu de
tribunaux maritimes critiqueraient s’il lui était administré, comme c’est
présentement le cas, en vue de l’ennemi. Avec la perspective de perdre bateau
et cargaison, et de finir prisonniers, le moment n’est pas aux criailleries de
bonnes femmes.
    Pepe Lobo remarque un changement de rythme dans les
vibrations du hauban auquel il se retient. Plus irrégulier, maintenant. D’en
haut vient un léger bruit de voile qui flotte au vent.
    — Faites votre travail, lance-t-il au second. Le
perroquet d’artimon faseye.
    À aucun moment, pendant qu’il parle, il ne quitte la
felouque des yeux : cent tonneaux environ, une coque effilée remontant le
vent jusqu’à cinq quarts, un mât incliné à l’avant et un autre à l’arrière,
avec des voiles latines et un foc tendu comme une lame de couteau. Elle porte
des drisses nues, sans pavillon national – la Risueña n’en arbore
pas non plus –, mais cela ne fait pas de doute quelle est française.
Personne ne viendrait de la terre comme ce chien si ses intentions n’étaient
pas aussi claires. S’il s’agit bien du corsaire qui passe son temps à rôder
dans la baie et a l’habitude de se tenir à l’affût derrière la pointe de Rota,
ses canons et son équipage lui permettraient de s’emparer de la polacre dès
lors qu’il pourrait suffisamment s’en approcher. La polacre est un navire
marchand de cent soixante-dix tonneaux armé seulement de deux pièces de
4 livres, de quelques mousquets et de sabres : rien de sérieux à
opposer aux deux caronades de 12 livres et aux six canons de 6 qui, à ce
que l’on dit, arment l’autre. Dont les exploits sont désormais bien connus.
Lorsque la Risueña a quitté le port il y a trois semaines pour Lisbonne,
elle comptait à son actif un chébec espagnol avec une belle cargaison, dont
900 quintaux de poudre, et un brigantin d’Amérique du Nord imprévoyant qui
naviguait trop près de la côte, capturé trente-deux jours après avoir
appareillé de Rhode Island pour Cadix avec du tabac et du riz. Apparemment, les
protestations des négociants de Cadix contre l’impunité dont jouit le corsaire
n’ont rien changé à la situation. Pepe Lobo sait que les quelques navires de
guerre anglais et espagnols sont employés à protéger l’intérieur du port et la
ligne défensive, à escorter les convois et à transporter le courrier et les
troupes. Quant aux canonnières et aux embarcations de moindre importance, elles
sont inutiles par marée montante et vent venant de la mer. Cela, quand elles ne
sont pas occupées à protéger le canal du Trocadéro, à surveiller la baie
pendant la nuit ou affectées à des convois qui se rendent à Huelva, Ayamonte,
Tarifa et Algésiras. Seul un chasse-marée espagnol, le mistic numéro
trente-huit, croise entre la barre de Sanlúcar et la ville de Cadix, sans guère
de résultats. Il est donc facile pour le corsaire de sortir le matin à
découvert du port ou de la crique où il s’abrite, de donner la chasse et de
revenir se protéger avec sa prise, quand il la tient, très vite et presque sans
risques, sur une côte qui appartient aux Français sur toute sa longueur. Comme
une araignée au centre de sa toile.
    Pepe Lobo regarde enfin vers l’avant, en direction de la
ville : des remparts bruns dans le lointain et d’innombrables tours au-dessus
des maisons blanches, avec le château de San Sebastían, le phare et son aspect
de navire échoué sur les bas-fonds. Quatre milles jusqu’aux Puercas et au
Diamante, calcule-t-il après avoir estimé sa position en prenant pour repères
la ville et la pointe de Rota. Sale entrée que celle de Cadix, avec beaucoup de
cailloux et un courant dangereux par forte marée descendante ; mais le
vent est favorable, et ce sera la pleine mer quand la polacre, sans
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