Byzance

voilà que vingt siècles d’histoire me sautaient brutalement au visage. J’ai vécu deux mois dans cette ville comme dans un rêve halluciné. Tout y était matière à émerveillement, comme ce jour où, sous une chaleur acerbe, je suis entré au musée des Mosaïques. Un lieu gris, sale, terne, inanimé. Décevant… Avisant un quelconque gardien qui arrosait les bougainvillées rabougries avec un jet d’eau étique, je lui ai tendu une poignée de livres turques en lui demandant de nettoyer quelques mètres carrés de parterre poussiéreux. C’est alors qu’un fabuleux Christ Pantocrator est surgi du néant, plongeant son regard sévère dans le mien. Je ne m’en suis jamais vraiment remis.
    C’est à l’occasion de ce séjour à Istanbul que j’ai appris, à ma stupeur, que Byzance la fabuleuse, le centre du monde au XI e siècle, entretenait d’étroites et fructueuses relations d’affaires avec les Vikings, ces farouches Barbares qui écumaient alors les côtes d’Europe occidentale, semant la mort et la terreur dans leur sillage. Les Byzantins fournissaient aux Scandinaves les produits finis et les épices venus de l’Orient dont ils détenaient le commerce exclusif, les Norsemen apportaient en échange leur ambre, leurs fourrures… Ainsi que leurs guerriers, mercenaires et gardes du corps fort recherchés.
    Un joli sujet de roman, me suis-je dit à l’époque.
    Et puis ma vie fut emportée par d’autres aventures, d’autres projets.
    Ce sont mes amis historiens de l’université de Dallas qui me le remirent en mémoire quinze bonnes années plus tard.
    Nous fêtions en bons Texans – à l’aide de force spiritueux dont la vente et la consommation sont, chez nous, interdits aux mineurs – la thèse qui avait valu à l’un d’eux une mention maxima cum laude, mention assez bien, lorsque j’affirmai haut et fort – l’esprit embrumé par l’alcool, sans nul doute ! – que, pour écrire un roman historique à succès, le plus difficile n’était pas de trouver un bon sujet : après tout, l’Histoire n’offrait que l’embarras du choix. J’énumérai sur ce diverses possibilités : la guerre de Trente Ans, la Commune de Paris, l’invasion de l’Espagne par Napoléon, la révolte paysanne de Pougatchev en Russie, l’apogée de Byzance…
    Quoi ? Écrire un best-seller sur Byzance  ? s’esclaffèrent-ils tous.
    Je commis alors la bêtise – approchais-je alors du coma éthylique ? – de parier dix mille dollars que le livre que je me vantais d’écrire sur la Deuxième Rome figurerait le jour venu en bonne place sur la liste des best-sellers du New York Times.
    Cette témérité allait me coûter deux années de ma vie.
    Mais me rapporter, au bout du compte, pari gagné, un chèque de dix mille dollars !
    Michael Ennis