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Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Titel: Brautigan, Un Rêveur à Babylone
Autoren: Keith Abott
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fantaisie bizarre, une salve d’éclairs fusait de sa
personne. Il adorait se lancer, avec le plus grand sérieux, dans des
élucubrations de pince-sans-rire sur les mots, jouant au type sans une once
d’humour. La plupart du temps, il tenait le coup. Il pouvait passer des heures
à échanger des répliques piratées à Bogart ou à récrire à sa manière des textes
des Beatles.
    L’obstination de Richard avait son importance dans ces
sketches ritualisés. Ainsi, bien qu’ouvert à toute modification, il aimait que
ce soit lui qui tienne les rênes. Et c’est lui qui annonçait ce que serait la
réalité du jour. Je me souviens, par exemple, de cet après-midi où nous sommes
passés devant un kiosque à hamburgers. Richard a humé :
    « Ah ! l’odeur du graillon dans le vent
d’hiver », a-t-il déclamé solennellement, « Li Po, il me
semble. »
    Le reste de la journée ne fut plus qu’improvisation de faux
poèmes chinois que nous prenions soin d’attribuer, à chaque fois, à quelque
maître, dont le nom était suivi du très pompeux « il me semble ». Une
des expressions favorites de Richard, au sujet de ces jeux, était de déclarer
qu’ils « se désintégraient en advenant ».
    Il croyait en la magie du jeu, et travaillait d’arrache-pied
pour retrouver cette qualité dans l’écriture.
    Dans la vie, cet esprit taquin lui venait aisément. Son
astuce et sa clairvoyance opéraient à partir de la nature pourtant bien réelle
de chaque scène. La journée où j’ai quitté Haight Street pour Monterey en est
un bon exemple.
    La veille, une de mes anciennes amies du Nord-Ouest avait
débarqué en ville. Libérée d’un mariage malheureux, elle se coltinait un sac de
pilules amaigrissantes. Elle se sentait d’attaque pour goûter à la vie nocturne
de Haight Ashbury, et nous avons rebondi entre deux soirées, la première
organisée en l’honneur de mon ami poète et imprimeur Clifford Burke, la
seconde, au coin de la rue, pour le poète John Logan, qui avait été étudiant en
même temps que moi à l’université de l’État du Washington. Je lui ai fait faire
le tour de la ville, nous avons bu beaucoup de bière ce soir-là, et j’ai fumé
deux paquets de Lucky Strike. Le lendemain, je me suis réveillé avec une triple
gueule de bois carabinée alcool-amphétamines-tabac. Je me tenais au milieu de
l’appartement, en aussi grande forme qu’un cadavre réchauffé, observant les
caisses entassées. La sonnette a retenti. C’était Richard.
    « Besoin d’un coup de main pour le
déménagement ? » Il m’a ensuite observé d’un peu plus près.
    « Oh ! oui, confirmation, tu as besoin d’un coup
de main. »
    Il a tombé sa veste en jean et a commencé à descendre les
cartons jusqu’à la camionnette, tandis que je tournais en rond dans l’entrée.
    C’est ce jour-là que j’ai arrêté de fumer. A chaque fois que
je saisissais un paquet, ma langue, desséchée par les Lucky, me faisait
tellement mal, que la simple idée d’en allumer une de plus m’était douloureuse.
(Il s’avère que je n’ai plus touché une cigarette depuis ce jour.)
    Brautigan savait toujours s’y prendre avec les victimes du
terrible syndrome de la gueule de bois. Tout en continuant de descendre mes
affaires, il m’a raconté une histoire, tirant de mes mésaventures un court
récit de son cru.
    « Tu as vraiment une tronche de mort ambulant. Dès que
j’en ai terminé avec ça, je m’occupe de toi. On va être obligé de t’achever. A
moins qu’on t’attache simplement à un poteau. Voilà ce qu’on pourrait faire,
t’emmener au Golden Gâte Park et offrir aux touristes le spectacle d’une torche
humaine. »
    Cette histoire fantaisiste l’amusait. Il prenait soin
d’observer chacune de mes réactions lentes et stupides avant de continuer à
broder.
    « Aujourd’hui, pique-nique sur l’herbe. Les enfants se
regroupent, et l’un d’eux dit : “Hé, papa, viens vite voir, on a une
torche humaine !” Avec tout l’alcool qui reste à l’intérieur »,
dit-il après m’avoir examiné de pied en cap, « je dirais que tu peux
brûler au moins pendant une bonne journée. »
    Sur les traces de Price, j’ai à mon tour acheté une
camionnette Chevy avant de quitter la ville. Une fois à Monterey, je me suis
lancé dans une affaire de jardinage et de transport pour compléter l’argent du
chômage. Dans notre bicoque de Spencer Street, Lani et moi étions heureux
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