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Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Titel: Brautigan, Un Rêveur à Babylone
Autoren: Keith Abott
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compagnie que je goûtai ma
première mousse au chocolat et mon premier sabayon.
    En 1966, ce qui était le plus frappant chez Richard, c’était
son optimisme constant. Compte tenu de l’existence au jour le jour qu’il
menait, le terme ne peut traduire l’aura héroïque dans laquelle semblait
baigner sa vie quotidienne. D’après ce que j’ai pu constater, son emploi du
temps consistait à écrire le matin, passer ensuite une série de coups de fil,
puis se lancer à corps perdu dans la vie de San Francisco emplie de joie et
d’imprévus.
    Papillonnant d’un type qu’il connaissait vaguement à une
vieille connaissance, d’un bar au café suivant, il était clair qu’il
considérait sa vie quotidienne comme la propre matière de son art. Une portion
de cet art se trouvait reproduite dans ses écrits, une grande partie ne l’était
pas. Cette déperdition ne semblait pas le chagriner. Il lui arrivait même de
fêter ça.
    Son style de vie et ses écrits contrastaient assurément avec
la confiance qu’il pouvait avoir en sa bonne étoile. J’avais beau
personnellement apprécier Le Général sudiste, j’étais à des lieues de
soupçonner que Richard pourrait un jour trouver un public assez vaste pour lui
permettre de gagner sa vie. Et je n’étais pas le seul de cet avis. Peu nombreux
étaient ceux qui pronostiquaient qu’un tel public naîtrait du jour au lendemain.
    Pendant cette période de félicité aux premiers jours du
Haight, l’intuition que tout était possible se propageait dans la ville. Nous
avions l’impression, mes amis et moi, de constituer une minorité de plus dans
une ville tissée de minorités. Au mieux, nous espérions que le quartier
tomberait entre nos mains, et que la ville, comme c’était le cas pour les
Italiens, les Japonais ou les Hispaniques, finirait par nous reconnaître en
tant que tels, et nous admettre. Notre délire était de penser que la ville laisserait
la vie sauve aux branchés de la dope.
    Quand les premiers miroitements de la révolution
psychédélique sont apparus au quotidien, et cela allait des posters du Fillmore
aux vêtements que l’on voyait dans la rue, il y a eu comme un soupir collectif
de soulagement. A partir de maintenant, nous allions avoir notre propre monde
(ou, comme l’écrivit le poète Philip Whalen, fabriquer la « Magie d’un
Tibet électrique »). Nous sentions que quelque chose de grandiose allait
arriver, qui allait envahir toute activité et allait secouer la terre entière.
Cette idée devenait contagieuse, aussi désolantes et désespérées qu’aient pu
être nos conditions de vie, et ça, ce n’était pas seulement une vision de
défoncé. Par la suite, mes amis du Haight n’en sont jamais venus à toucher à la
dope tous les jours – pour la simple raison que les fournisseurs
n’étaient pas régulièrement approvisionnés, et parce que l’envie n’y était pas
toujours.
    Que Richard et toute cette faune baroque du Panhandle
arrivent à survivre, voire à payer un loyer, voilà qui me fascinait. Jeune
écrivain moi-même, j’étais impressionné par Brautigan qui semblait vivre
essentiellement grâce à l’argent de ses écrits. En vingt-deux ans, jamais je
n’avais rencontré un écrivain qui s’assumât financièrement. Tous ceux que je
connaissais étaient profs ou avaient un boulot sans aucun rapport avec
l’écriture. Brautigan, résolu comme il l’était à réussir en tant qu’écrivain,
incarnait pour moi le modèle de l’artiste obstiné.
    A cette époque, Richard ne faisait presque jamais allusion à
son enfance. C’est de Price que j’appris que nous avions, lui et moi, quelques
points en commun. Nés tous les deux à Tacoma, dans l’État de Washington,
Verseau tous les deux, lui du 30 janvier, et moi du 2 février, nous avions tous
deux passé notre enfance dans le milieu ouvrier du nord-ouest de l’Amérique. Ce
qui nous fournit une autre source de plaisanteries, tant il était peu
prévisible que nous devenions des artistes, avec des ancêtres fermiers,
arracheurs de souches, cuistots ou pêcheurs.
    En dépit de ses antécédents, Richard était maintenant un
créateur, ce dont il tirait une grande fierté. Il affirmait souvent que la
puissance artistique de ses amis était proportionnelle au combat qu’ils avaient
dû mener pour accoucher de leur art. Il affirmait que le rejet dont il avait
été victime lui avait procuré de la force, un carburant pour son travail.
    « Aucun
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