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Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Titel: Brautigan, Un Rêveur à Babylone
Autoren: Keith Abott
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assurément doté de l’une des
personnalités les plus complexes qu’il m’ait été donné de rencontrer. Et même
dans ses moments les plus déconcertants, obstiné, il persévérait.
    C’est précisément cette volonté, l’ardente dévotion avec
laquelle il se consacrait à son travail, qui faisait de Brautigan plus qu’un
simple personnage insolite. William Blake nous rappelle que, « si un fou
persistait dans sa folie, il deviendrait un sage ». Et comme l’un de mes
étudiants en fit une fois le commentaire : « Comment un fou peut-il
persévérer ? » Plus que sa persévérance, il fallait alors considérer
dans quelle situation se trouvait Brautigan. Le plus dur, en ces temps
insouciants du Haight Ashbury en éclosion, c’est que Richard n’avait pas le
choix. C’est en tant qu’artiste qu’il lui fallait réussir. Il n’avait pas de
famille, hormis une fille et une femme divorcée. Il ne connaissait pas d’autre
métier, ne fréquentait personne d’autre que ses copains écrivains et ses
collègues de biture de North Beach. S’il ne s’en sortait pas comme écrivain, il
n’avait littéralement rien d’autre dans cette vie. Pour lui, c’était tout ou
rien.
    Pendant la période durant laquelle nous avons habité dans
cet appartement de Haight Street, ma situation sociale s’est modifiée. J’ai
épousé Lani, déjà enceinte de notre fille, et même s’il n’était pas dans mes
intentions de tout remettre en cause, la pression de la paternité s’est abattue
sur moi. J’ai jugé que mon rôle était d’être soutien de famille. Ce qui, compte
tenu de mon éducation, signifiait m’atteler à un boulot, remiser au placard
tous les rêves que j’avais pu caresser, « retrousser les manches, et en
mettre un coup » comme nous le rabâchait mon père. Mais pour le moment, je
profitais de la vie cosmopolite et artistique de San Francisco, témoin de
l’émergence d’un mode de vie radicalement nouveau. Certes, mes racines
m’incitaient à agir en futur père responsable. Pourtant, mes projets étaient
les suivants : arrêter mon boulot, m’installer sous le soleil de Monterey,
vivre du chômage, écrire des livres, et plus généralement, pourfendre les
règles de conduite que mes parents avaient eu tant de peine à m’inculquer.
Projet que je mis à exécution dès septembre.
    A Noël 1966, nous avons quitté Monterey pour aller passer
les vacances à Tacoma. Sur le trajet, ma sœur a eu un pépin avec son minibus
Volkswagen. La réparation a duré assez longtemps, et nous nous sommes retrouvés
immobilisés dans le Nord-Ouest, manquant d’argent. Pour faire face à ce séjour
forcé, j’ai revendu du LSD à des amis d’université qui habitaient Bellingham.
En souvenir du bon vieux temps, j’en ai pris moi aussi une petite dose vers six
heures du matin. Ce soir-là, quand nous sommes arrivés à la maison, emportés
par l’optimisme ensoleillé du trip, j’ai décidé de mettre ma famille au courant
de mes résolutions.
    J’ai donc informé mon père de mon projet de devenir
écrivain, et voilà ce qu’il m’a répondu :
    « Dans ce cas, tu seras toute ta vie un
parasite. »
    Ce n’était pas tout à fait la réaction que j’escomptais.
    Le point de vue de mes parents m’amène à reconnaître que,
jusqu’à maintenant, le portrait que j’ai brossé de Brautigan ne dément en rien
le cliché de l’artiste affamé, vivant dans un appartement minable, animé de son
seul optimisme. Ce que j’aurais pu à l’époque entendre comme une prédiction de
mauvais augure, mais ce ne fut pas le cas.
    Ce qui élevait Richard au rang d’exception était cela même
qui procurait tout le plaisir que l’on pouvait éprouver à lire ses
livres : l’imagination.
    Passer une journée dans San Francisco avec lui revenait à se
soustraire à tous ces combats ; c’était la possibilité de prendre du recul
pour réviser mes prétentions, et voir s’il y avait possibilité d’inventer une
vie qui me permettrait de devenir écrivain. Richard, ce n’était pas l’exemple
le plus facile à suivre, mais ce n’était pas non plus vers la facilité que je
penchais. Je cherchais l’inspiration.
    A cette époque, traîner en compagnie de Brautigan, c’était
comme voyager à travers l’un de ses romans.
    Il parlait avec ses amis exactement comme il écrivait dans
ses livres. Métaphores tirées par les cheveux, emprunts aux dessins animés,
plaisanteries expresses,
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