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André Breton, quelques aspects de l’écrivain

André Breton, quelques aspects de l’écrivain

Titel: André Breton, quelques aspects de l’écrivain
Autoren: Julien Gracq
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rêve ! — Comme dans un rêve» (Les Vases communicants).  
     
    ...le brutal télescopage des deux expressions, pourtant identiques, provoque sans doute possible, avec une malignité voulue, une prise de conscience éperdue de tout ce à quoi nous pourrions nous attendre si, chaque fois que nous prononçons un mot, nous voulions bien seulement attendre le retour de l' écho. Une aptitude inquiétante du mot à fondre à l'improviste (Breton la souligne quelque part) atteint par là à son maximum de dévoilement.
    Plus proche de préoccupations formellement poétiques — encore qu'il se rattache assez étroitement au précédent — se montre un autre emploi de l'italique, qui consiste, à la manière dont la gerbe d'un projecteur isole son objectif — à rompre la sujétion ordinaire du mot qui le contraint tant bien que mal à servir, à le laisser une seconde comme en suspens, en proie à tout son pouvoir de suggestion pure, à la manière d'un visage qui se fige devant nous sur l'écran en gros plan, dans une immobilité fascinante, dans un air purifié qui lui restitue un bref flamboiement. «Éclatement» véritable du mot qui sera d'autant plus suggestif qu'il s'agira d'un mot plus banal, d'une locution plus usagée. De même que soudain la projection d'une image fixe, dans le déroulement d'un film, acquiert pour la rétine, précisément par la brutalité du contraste avec le mouvement accéléré dans lequel elle s'insère, une espèce de vibration surnaturelle (cette immobilité si improbable, nous ne pouvons nous empêcher de la ressentir comme un excès en même temps qu'une perte de vitesse), de même Breton atteint souvent, dans ses meilleures réussites, à une véritable tétanisation du mot, qui semble vibrer pour nous, comme un cristal sous un coup de doigt, à la limite même de la rupture. On oserait même dire (si ces impressions supportent encore d'être exprimées) qu'à de tels instants l'illusion au moins nous est donnée, comme dans certains rejets célèbres de Mallarmé (on pense au «Lys!» ou aux «Palmes!»), que le mot nous ouvre enfin son essence la plus intime, qui n'est plus intellectuelle, qui n'est plus imaginative, qui n'est plus musicale, mais se réduit à quelque chose comme une longueur d'onde singulière, sur laquelle nous nous trouvons en prise un bref instant. A des degrés variés d'indicible, c'est le but que visent plus ou moins consciemment des phrases de ce genre.
     
    «Par ce que je puis être tenté d'entreprendre de longue haleine, je suis trop sûr de démériter de la vie telle que je l'aime et telle qu'elle s'offre : de la vie à perdre haleine.» (Nadja.)  
     
    «C'est une joie sombre de voir comme rien n'a plus lieu sur leur passage qu'eux-mêmes, et de reconnaître, à leur façon de se multiplier et de fondre, que ce sont des êtres de proie.» (Point du jour.)  
     
    «Pour aujourd'hui je pense à un château dont la moitié n'est pas forcément en ruines : ce château m'appartient, je le vois dans un site agreste, non loin de Paris.» (Premier manifeste.)  
     
    «J'adore cette situation qui est, entre toutes, celle où il est probable que j'eusse le plus manqué de présence d'esprit.» (Nadja.)  
     
    Le problème essentiel que se propose de résoudre Breton, nous l'avons dit, est de communiquer au lecteur, par des procédés qui ressortissent en partie au mimétisme, le courant de pensée qui le traverse et dont il est loin d'ailleurs d'imaginer qu'il lui appartienne en propre. Il semble bien, nous l'avons vu, que ce soit en remontant le plus près possible de la source, en saisissant la pensée à l'état encore presque indivis, indemne de toute appropriation trop appuyée, en la captant à l'état naissant, qu'on ait le plus de chances d'y aboutir. La tâche de l'écrivain est donc de faire participer autant que possible le lecteur à la genèse même de la phrase, avant l'application à force de son masque et de son faux-nez logique — de le faire participer au même sentiment de tâtonnement tout à coup illuminé par la trouvaille pure qui a été le sien. En d'autres termes, il importe de laisser subsister sous la phrase rédigée, à la façon de repères, les éléments moteurs essentiels de la phrase en puissance, de la phrase qui n'était encore qu'aveugle impulsion. Breton a souligné avec lucidité, dans L'Amour fou, le «rôle catalyseur de la trouvaille», et on pourrait, semble-t-il, placer sous ce signe l'essentiel du
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