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André Breton, quelques aspects de l’écrivain

André Breton, quelques aspects de l’écrivain

Titel: André Breton, quelques aspects de l’écrivain
Autoren: Julien Gracq
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L'«ÂME D'UN MOUVEMENT»
     
    La dernière scène de Don Juan pourrait servir à illustrer d'une manière tragique une tentation congénitale à l'artiste. Il vient toujours dans sa carrière un moment assez dramatique où s'invite d'elle-même à souper au coin de son feu une statue qui n'est autre que la sienne, dont la poignée de main pétrifie, et dont quelque chose du regard médusant passe avec un éclat glacial dans un des vers les plus célèbres de Mallarmé. Une lutte épuisante, jusqu'à la dernière seconde, contre l'étreinte paralysante de l'homme de pierre fait souvent — et on serait tenté de dire : à notre époque surtout — la trame pathétique de toute une vie d'artiste en fuite devant sa propre effigie, acharné à ne pas se laisser rejoindre au moins avant le seuil final — à ne pas se laisser dévorer avant l'heure par le monstre qui croît et se fortifie du sang qu'il perd. A un abandon sans vergogne au premier signe des bras de marbre se reconnaissent sans doute ces siècles classiques qu'on s'acharne à nous représenter comme si sévères pour eux-mêmes. Mais pour nous, le coureur en dût-il se désunir disgracieusement, nous mettons une joie angoissée à suivre ces zigzags de bête forcée, obstinée encore à donner le change, à brouiller les pistes — et à la seconde même où il est terrassé, quelque chose en nous de très profond surgit pour lui prêter le mot final du Caligula de Camus : «Je suis encore vivant.»
    Il n'est guère d'écrivain vivant qui s'adonne aussi libéralement que Breton à cette passion de bouger qui consterne aussi fâcheusement les critiques que les photographes. Bien loin d'ailleurs qu'il s'excuse d'une manière de faire aussi peu en recommandation auprès des «comités» et des académies, il n'est pas loin de la prôner délibérément comme un moyen — qui après tout en vaut un autre — de gêner. Lorsqu'il nous parle de la personnalité «la plus infixable, la plus décevante» qui soit (celle de son ami Duchamp) nous comprenons bien, à l'ambivalence suggérée d'une telle épithète, que Breton ne tient à rien moins qu'à ce qu'on sache, sur lui comme sur les autres, «à quoi s'en tenir». Il use même au besoin d'un avertissement plus explicite : «Jusqu'à nouvel ordre, tout ce qui peut retarder le classement des êtres, des idées, en un mot entretenir l'équivoque, a mon approbation 1 .» Le critique qui, en compensation de la tâche de vivisection peu ragoûtante qu'il entreprend sur ses contemporains, escompte souvent sans oser le dire le petit chatouillement intime du «vous m'avez si bien compris» et de la congratulation réciproque, paraît ici expressément prié de repasser au terme heureusement indéterminé «d'une vie qui, je l'accorde, ne se distingue pas par essence de toutes les vies passées, mais ne doit pas non plus tout à fait en vain se voir assigner de telles limites : André Breton (1896-19..) 2 ».  
    Une autre difficulté risque de gêner le critique : à peine est-on entré en matière qu'on commence à s'apercevoir que l'étude de l'«écrivain» André Breton manifeste une propension naturelle à proliférer, à déborder son cadre initial, et à devenir un essai — pour lequel l'heure paraît encore loin d'avoir sonné — sur le phénomène surréaliste dans son ensemble. On soulignera plus loin ce qu'a de fatal une pareille pente : on tentera cependant de ne pas y céder. Il suffira largement à cet essai de vouloir rendre compte dans une certaine mesure des ondes turbulentes que propage autour d'elle une personnalité assurément de «grand format» — et qui par certains côtés est devenue, et a mérité dedevenir, exemplaire. Cette personnalité apparaît d'une façon durable comme traversée par certaines lignes de force (on verra qu'une métaphore aussi usée rencontre ici une chance unique de se remagnétiser) et le faisceau de ces lignes lui maintient d'ailleurs seul une cohésion sur laquelle Breton a toujours entendu se défendre de mettre un accent si peu que ce fût artificiel (le début de Nadja à lui seul suffirait à déceler chez lui la fascination quasi continuelle d'un éclatement de la personnalité). Mais un «moi» aussi concrètement noué et aussi dense ne peut nous faire perdre de vue l'aire d'attraction mal déterminée particulière aux phénomènes de magnétisme : le propre de ces lignes de force en effet, après avoir «traversé», paraît être de se prolonger, et il
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