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André Breton, quelques aspects de l’écrivain

André Breton, quelques aspects de l’écrivain

Titel: André Breton, quelques aspects de l’écrivain
Autoren: Julien Gracq
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l'organe, du point de fuite avec les lignes de la perspective. Dans toutes les manifestations vivantes du groupe, c'est toujours autour de son nom que tend à se coaguler l'intuition, qui parfois se fait jour, d'une certaine immanence. Il est parfaitement loisible d'imaginer la survie d'un «mouvement» surréaliste au-delà de l'existence concrète de Breton — mais il est déjà clair pour tous que, lui disparu, «rien ne sera plus comme avant». Une baguette magique aura cessé pour toujours d'osciller au-dessus de l'orchestre — mieux encore : un certain timbre irremplaçable et jamais entendu, et à l'obtention duquel on s'assure qu'était nécessaire la collaboration de tout un complexe instrumental, aura cessé de résonner «à travers» lui. La preuve sera faite par le vide qu'«une force indépendante de celle d'exprimer et spirituellement de se faire entendre préside, en ce qui concerne un homme vivant, à des réactions d'un intérêt inappréciable dont le secret sera emporté avec lui ».
    La curiosité croît lorsqu'on vérifie que, de la façon la plus explicite, Breton ne s'est jamais fait faute de revendiquer pour lui cette fonction assez peu commune. Sans qu'on puisse, comme on l'a voulu parfois d'une façon déplaisante, l'accuser d'une velléité d'impérialisme littéraire ou d'une «exploitation» vulgaire du talent d'autrui (l'excès de modestie qu'ils visent fait que de tels griefs tombent ici visiblement à faux) on sent à chaque instant que le mouvement qui lui est le plus naturel est de considérer le surréalisme non comme une somme de théories au bas de laquelle il se sent en droit d'apposer sa griffe, mais comme un milieu à sa mesure dans lequel il disposerait constamment de facultés privilégiées d 'immersion. Si «la liberté est, dans le surréalisme, révérée à l'état pur, prônée sous toutes ses formes», un accord congénital avec l'esprit qui le guide fait sans nul doute le privilège qu'a Breton, par l'effet d'une grâce spéciale, d'échapper toujours aux «maintes manières d'en démériter».
    Un type d'artiste assez nouveau pourrait bien ainsi devant nous prendre naissance avec lui. Dans les plus fortement constitués des mouvements littéraires qui se sont succédé jusqu'à nous, l'individualité pleine de chaque artiste, dans la conception aussi bien que dans l'exécution, n'a jamais consenti à aucune atteinte, et au XVI e siècle, comme au XVII e et comme à l'époque romantique, c'est toujours invariablement sous l'aspect de «pléiade» où chaque étoile se laisse parfaitement isoler à l'œil sans emprunter à la constellation dont elle fait partie autre chose que des repères commodes et un moyen mnémotechnique acceptable de la situer, que se présente pour nous chacun de ces groupes. Compte tenu que la vanité personnelle de chacun trouve pleinement son avantage à mettre l'accent sur cette manière de s'y insérer, la force de gravitation extrêmement ténue qui s'exerce sur chacun de ces «systèmes» révèle pourtant par là son impuissance congénitale à empêcher quel'histoire littéraire de notre pays, par exemple, soit jamais au fond autre chose qu'une brillante suite de noms. Il arrive même assez couramment qu'au gré des auteurs de manuels littéraires, et après tout sans grand scandale, tel astre capricieux, au vent des pages, s'échappe étourdiment par la tangente d'une nébuleuse mal coagulée pour «prendre la roue» d'une voisine plus en faveur. On considérera assez indifféremment, et sans causer d'étonnement majeur, que Baudelaire — par exemple — trouve place dans la queue du «romantisme» aussi bien que parmi les chefs de file du «symbolisme». Cette laxité dans l'appartenance a de tout temps encouragé quelques innocentes supercheries : ainsi les convertis chrétiens de la fin du XIX e siècle ont tenté autrefois sans façon, comme on sait, de dévoyer Rimbaud — ainsi le même Baudelaire, plus curieusement encore, a pu nous être représenté récemment dans un hebdomadaire comme le chef de file des poètes du prolétariat. Chacun sent en tout cas fort bien, en dehors des critiques littéraires de profession, intéressés pour des raisons majeures à valoriser leurs étiquettes d'appellation peu contrôlable, quelle innocuité risible s'attache au recensement, sous le vocable de romantique, de symboliste, de naturaliste, etc., de telle ou telle étoile de première grandeur. Un écrivain d'un métal tant soit peu
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