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André Breton, quelques aspects de l’écrivain

André Breton, quelques aspects de l’écrivain

Titel: André Breton, quelques aspects de l’écrivain
Autoren: Julien Gracq
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communes d'apprécier tout ce qui se propose, de choisir avec la partialité du désespoir parmi ce qui est, que si malheureusement je n'ai pu le connaître, il m'est peut-être le moins étranger de mes amis.» On se tromperait de beaucoup si l'on voyait dans des analogies intimes si expressément suggérées je ne sais quel moyen vulgaire d'«illustration» : il ne s'agit pas d'exemples, mais d'une identification anormalement aisée, de rapports d'un caractère assez exactement dévorants et qui feraient songer sans grande peine aux pratiques du sorcier qui réellement pour ses fidèles «absorbe» les vertus du disparu et les restitue, vivantes en lui, au groupe. Une parole extraordinaire de Breton, qu'on n'a pas assez soulignée, pour ce qu'elle semblait contenir de puérilement provocant, alors que, considérée sous l'angle convenable, elle n'est qu'aveu naïf et dépouillé de la vérité, nous le confirme : «Vaché est surréaliste en moi 3 .» Pour les vrais fidèles, qu'ils l'avouent ou non, il n'y a au fond guère de doute que la vertu de Sade, de Lautréamont, de Jarry, comme plus tard de Vaché, de Rigaut, de Desnos, de Dali, a été entièrement par Breton assimilée et restituée aux hommes, à la suite d'un assez étonnant phénomène de transsubstantiation. Il est traversé littéralement par le meilleur de leur esprit, il est le conducteur élu du fluide. Pas plus que les vrais inspirés, il ne songe d'ailleurs à en tirer orgueil : ce n'est pas qu'il les comprenne mieux, qu'il les développe ou les continue : aucune opération intellectuelle précise n'élucide ce contact miraculeux; tout à coup seulement il est investi, il tombe «sous le pouvoir». «Ces appels... tous ceux qui m'ont cloué sur place un jour, une fois pour toutes, qu'ils m'aient mis alors tout entier sous le pouvoir de Baudelaire, de Nouveau, de Vaché, plus rarement d'Apollinaire.» À un certain éclat de la voix, à un certain frémissement augurai de la plume, on ne peut s'y tromper : tous ces morts parfois «plus qu'oubliés» Breton ne les exhume pas, ne les actualise pas — littéralement, il les apporte. En leur nom, à leur place, il est qualifié pour porter témoignage et condamnation, et même au besoin contre eux : il a jusqu'au pouvoir de les expulser de leur identité : il sait par exemple à quelle date précise Chirico a cessé de se manifester ailleurs qu'en lui. La censure instinctive qui pèse sur notre époque raisonnable vis-à-vis de tels phénomènes d'impérialisme médiumnique, et que Breton malgré toute son indépendance d'esprit subit lui aussi plus qu'à moitié, ne peut empêcher qu'à quiconque sait voir — édulcorée, déguisée, masquée — ne transparaisse à chaque instant dans son comportement une manière d'être qui nous reporte à l'époque où l'«Esprit» visitait familièrement les hommes et à travers eux prophétisait en liberté.
    Le surréalisme a toujours porté en lui, d'après Monnerot, qui s'autorise de Breton pour l'affirmer, des germes de socialisation. Germes en effet seulement, qui dans la réalité se réduisaient à peu de chose : cafés qu'on hante, habitude des réunions périodiques, promenades en commun, fréquentation de lieux «électifs», jeux d'esprit pratiqués, rites sommaires. Mais dans l'esprit de Breton, et à travers lui dans l'esprit du groupe, il semble qu'il y ait eu loin de cet agrégat assez lâche, assez mal différencié (auquel Monnerot applique la qualification de «set») à la forme idéale qu'il aurait pu prendre, que déjà il était sommé de prendre, dans la mesure où «l'imaginaire est ce qui tend à devenir réel». Il faut toujours tenir compte, dans l'étude d'un état naissant en constante puissance d'éveil, comme l'était le surréalisme, de l'énorme pression qu'exerçait, de la puissance de matérialisation que recelait jusqu'à déjà à elle seule lefaire être, l'attente galvanisante d'une espèce d'an mil qui littéralement jetait les esprits en avant d'eux-mêmes, lesexorbitait. Ce qui a été, cette assez misérable poignée de cendres, ne compte guère à côté de la force de présence qui demeure à ce qui allait être, et qui pour nous mérite dans une grande mesure (sans quoi on ne comprend rien) d'être crédité d'avoir été déjà — au sens où on peut bien dire que le bouton est la fleur avec plus de force convaincante que la fleur n'en aura jamais, de tout ce qui en lui l'appelle, de tout ce qu'il adresse au
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