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André Breton, quelques aspects de l’écrivain

André Breton, quelques aspects de l’écrivain

Titel: André Breton, quelques aspects de l’écrivain
Autoren: Julien Gracq
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dynamisme valorisateur. «Daignent tes artères, parcourues de beau sang noir» dit Breton du volcan de Tenerife, tout autant que «beau et noir» Lautréamont de l'air — comme si, l'un entraînant l'autre, les deux termes, naturellement, allaient de soi. On se sent même l'envie de nommer exceptionnellement «épithète de nature» un adjectif qui révèle si ouvertement le tréfonds sensible moins de l'objet que du sujet. Et sans doute plus encore que le tréfonds sensible le tréfonds moral, ou plus exactement cette inclination, cette pente, cette prédestination fatale, qui oriente toutes les manifestations de l'être, toutes ses projections, et qui ne peut prendre sa signification pleine et entière qu'avec l'intervention départageante de la notion de sacré (nous retrouvons ici l'idée cardinale que Monnerot a placée à juste titre au centre de son livre). C'est seulement au fond par une référence lointaine au sacrilège, à la profanation, référence qui n'est jamais tout à fait perdue de vue, que ce terme de «noir» reçoit pour les surréalistes toute la charge galvanique dont on le voit capable. À peine s'en avise-t-on vaguement que les indices accourent en foule. Il n'est pas tout à fait indifférent de remarquer que le premier exégète de Lautréamont, Léon Bloy, «électivement» sensible, il est vrai, à la polarisation dont il a été parlé, le caractérise de but en blanc, et assez bizarrement, comme l'homme qui a apporté «la bonne nouvelle de la damnation». Et à partir du grand ancêtre, on voit dans cette direction les affinités électives jouer à plein. De ces lignes de force qui à travers Breton irradient le surréalisme, la plus constante est peut-être la fascination quasi automatique exercée par l'acte profanateur. Il est inutile même, tellement elles surabondent, de se donner la peine de chercher dans l'œuvre de Breton et de ses amis les preuves d'une attirance aussi étrange et aussi continuelle — qu'elle éclate en appels vibrants au sacrilège ou que de façon plus convaincante encore elle affleure subtilement dans la trame de la prose, pour revigorer d'un aiguillon empoisonné une image d'une tout apparente innocuité. On descendrait ainsi toute une gamme depuis : «Ma femme à la langue d'hostie poignardée» de L'Union libre jusqu'à la reproduction du tableau d'Uccello La Profanation de l'hostie, qui figure en bonne place dans Nadja, et à laquelle renvoie plus subtilement la dernière phrase citée plus haut du Second manifeste («À bas ceux qui distribueraient le pain maudit aux oiseaux»). Longtemps «tenue» en sourdine la fanfare provocante de cet appel à un anti-dieu éclate enfin sans mesure, avec l'insistance d'un mot de passe, avec la majesté d'une devise inscrite au fronton d'un temple, dans les dernières pages d'Arcane 17 : «Osiris est un dieu noir!»  
    C'est à ce parti délibérément pris de la malédiction, qui a coloré ses manifestations les plus aiguës d'un reflet persistant de «messe noire», que se rattache pour le surréalisme l'obligation (qu'il a esquivée autant qu'il a pu, tout en la proclamant) de dissimuler, de tenter sans cesse, au moins de façon embryonnaire, de ménager dans son action une part de clandestinité, dans sa doctrine une part d'ésotérisme, inséparables historiquement de tout groupe de subversion décidé à retourner contre la religion ses propres armes. Le caractère très relatif du secret qu'il a observé ne témoigne guère que de l'inconsistance du danger, et par là du dynamisme très assoupi de la religion dominante avec laquelle il se mesure : le surréalisme a pu même ouvertement, et sans réactions de défense graves, prendre des otages à l'ennemi, exhiber aux terrasses des cafés de Montparnasse (en un geste de provocation et de «valeur profanatrice élevée») un surréaliste ensoutané (il s'agit comme on sait de l'abbé Gengenbach, dont la bizarre brochure Surréalisme et christianisme témoigne sur un ton légèrement délirant à l'appui de ces vues, et montre ce qu'aurait pu être, disons quelques siècles plus tôt, la réaction d'un sacerdoce officiel mieux assis sur ses jambes). Ce qui surprend même, et va jusqu'à créer un certain malaise, c'est la disproportion entre la vigueur au moins verbale de l'attaque et l'inertie parfaite de 1'adversaire nanti dans la riposte, comme si vraiment celui-ci n'était plus en mesure de conditionner celle-là n'était plus à son échelle —
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