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André Breton, quelques aspects de l’écrivain

André Breton, quelques aspects de l’écrivain

Titel: André Breton, quelques aspects de l’écrivain
Autoren: Julien Gracq
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coupée des zigzags conscients de continuels dérapages. Il est bien vrai (Breton l'a dit) que l'automatisme verbo-auditif est créateur des images visuelles les plus exaltantes — il est non moins vrai que ces images une fois amorcées (et l'écriture automatique en amorce à foison) on ne voit pas quel stupéfiant pourrait bien empêcher l'esprit devant lequel elles surgissent de les voir dans la lumière de l'éblouissement, c'est-à-dire d'être sollicité par elles vers un paysage mental familier, qui a ses repères, sa perspective, ses cheminements, qui n'est autre que celui je la perception — c'est-à-dire de se voir poussé à les encadrer, à abandonner à chaque instant le flux auditif libre et porteur au profit de vulgaires «moyens littéraires» mis au service d'une image visuelle élaborée qui prétend à être enregistrée comme telle. L'écriture automatique, inextricablement, est mélange — mélange où le dosage de ce qui est spontané, «révélé» et de ce qui se trouve déjà plus qu'à demi élucidé — fixé, coagulé au contact des «bases» logiques par un phénomène continu de floculation — apparaît décidément impossible à faire 4 . Elle est soumise aux phases d'attention et d'inattention extrême d'un véritable courant alternatif.  
    Parvenu à cette constatation du caractère fondamentalement trouble, mêlé, changeant de l'écriture automatique, on se demande 5 par quelle bizarrerie, génératrice de malentendus, Breton a tenu à placer sous l'invocation de Freud un procédé de transcription immédiate du flux mental qui se fût réclamé beaucoup plus naturellement de Bergson. Une différence marquée dans le vocabulaire (l'emploi par exemple chez Breton du mot «révélation» là où Bergson dirait immanquablement «intuition») et surtout l'idée propre aux surréalistes que le langage utilisé selon des recettes spéciales sert la pensée spontanée, peut l'aider à se libérer, à se garder fluide et communicative, au lieu, comme le veut Bergson, de la conceptualiser invinciblement, de la coaguler — constituent peut-être les seuls malentendus possibles entre deux pensées qui ne cessent guère d'être d'accord sur l'essentiel. La «pensée parlée» que cherche à obtenir Breton dès ses premiers essais de discours, puis d'écriture automatique, ne nous renseigne peut-être guère sur ces régions obscures de la subconscience, que Freud lui-même n'a jamais rêvé d'atteindre qu'indirectement, mais à coup sûr — à la déformation due au langage près — elle constitue l'essai le plus honnête et le plus conséquent que l'on ait fait pour prendre vives comme dans un coup de filet les «données immédiates de la conscience». Bien plus proche que de Freud du schéma imaginatif moteur par lequel Bergson cherche à saisir la pensée se révèlent les images qu'emploie Breton lorsqu'il nous parle du «caractère inépuisable du murmure», des «tangences des mots avec d'autres mots innombrables», de la «perte d'élan qui seule pourrait être fatale».  
    Il n'est donc pas impossible que les mécomptes de l'écriture automatique lui soient venus de ce qu'une expérience que tôt ou tard appelait dans son prolongement pratique la conception du courant de conscience bergsonien se soit trouvée — en partie du fait de la formation professionnelle et des hantises particulières à Breton — déviée arbitrairement vers la résolution — qu'elle n'était guère apte à apporter — de problèmes nouveaux appelés au jour subitement dans le sillage du freudisme. Si l'on se reporte à la définition célèbre du
    Premier manifeste :  
     
    «Surréalisme, n. m. Automatisme psychique, par lequel on se propose d'exprimer soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale»
     
    on ne pourra manquer de voir dans le surréalisme une entreprise irréprochablement bergsonnienne d'inspiration, où la hantise des plongées abyssales dans le domaine interdit, au milieu des monstres freudiens aux cent têtes, ne paraît tenir aucune place. Ce n'est que plus tard (la terminologie employée dans le «Message automatique » de 1933 est déjà beaucoup plus résolument freudienne) que semble s'être produit un gauchissement décisif dans la pensée de Breton : hanté par l'idée d'une
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