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André Breton, quelques aspects de l’écrivain

André Breton, quelques aspects de l’écrivain

Titel: André Breton, quelques aspects de l’écrivain
Autoren: Julien Gracq
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d'écrivains (Poe, Baudelaire, Rimbaud — Nietzsche, dont on sait que son emploi constant de l'italique dans les notes de premier jet, par exemple dans les textes de La Volonté de puissance, prend le caractère d'un véritable tic) à travers lesquels l'usage d'ailleurs très varié du soulignement tend d'une façon continue à acquérir un sens de plus en plus nettement valorisateur. Son usage chez Breton, marque l'achèvement d'une révolution véritable : non seulement le mot souligné s'incorpore désormais étroitement à la phrase qu'il irradie souvent d'un bout à l'autre, lui confère seul son sens supérieur et son achèvement, mais encore il y représente le passage d'un influx galvanique, d'une secousse nerveuse qui la vivifie et la transfigure, il y porte tous les caractères d'une véritable sublimation. Ce n'est plus d'un ostracisme mal déguisé mais d'une sorte de coefficient algébrique fait pour multiplier magiquement sa puissance, le faire littéralement exploser, que le mot se trouve d'un trait de plume mystérieusement affecté.
    Un maniement si insolite et si révélateur du langage nous mène à prendre conscience d'un «double sens» des mots qui n'est pas celui auquel on songe d'ordinaire. On pourrait dire, en tirant parti pour une analogie audacieuse des réalisations de la physique, que le mot, qui ne nous semblait habilité qu'à entrer inexorablement en composition à l'état d'atome inerte, dans des ensembles que réglait toujours plus ou moins lâchement le lien logique — fixant tout à coup sur lui seul une attention quasi hypnotique — libère brusquement pour nous en gerbe, pulvérisant toutes ses attaches, l'énergie nucléaire insolite qu'il recelait à notre insu. C'est en prenant conscience entière de cette énergie latente en puissance dans le vocable, en libérant par des moyens inédits le noyau interne vivant de la croûte inerte agglutinée à sa surface au sortir d'un abus de trop routinières manipulations, que Breton a pu parfaire l'originalité de sa phrase, qu'on pourrait caractériser doublement quant à sa structure (on l'a vu), comme une sensibilisation de la syntaxe, quant à sa matière, comme une énergétique du mot.  
    Une telle découverte se prête à la plus grande variété d'applications, et il ne peut s'agir ici que d'attirer l'attention sur les plus caractéristiques. Tantôt le mot, ou l'expression soulignée, semblable au rappel insistant, dans un morceau de musique, de la tonalité (et c'est bien précisément d'une clé qu'il s'agit ici), est destiné à faire sentir, par rapport à la phrase, la vibration d'un diapason fondamental — indique le jour exact sous lequel elle doit être lue, à la façon très précisément d'une intonation parlée : il s'agit alors de ce qu'il serait légitime d'appeler la phrase «ton de voix».
     
    «Tu sais, Jacques, le joli mouvement des maîtresses sur l'écran, lorsque enfin on a tout perdu?» (Les Pas perdus.)  
     
    «Les flics restitués à leur fonction au moins de très honnêtes gens.» (Second manifeste.)  
     
    «Dans les rues de Nantes, il se promenait parfois en uniforme de hussard, d'aviateur, de médecin.» (Les Pas perdus.)  
     
    «Cette description de chambre, permettez-moi de la passer, avec beaucoup d'autres.» (Premier manifeste.)  
     
    Dans d'autres cas (il s'agit alors de ce que Breton appellerait volontiers les «mots-glissades» ou les «mots-précipices») l'italique dénonce une espèce de rébellion instantanée du mot qui, mû par sa force propre d'inertie, échappe soudain par la tangente à la courbe de la phrase et se met à graviter tout seul, nous procurant cette même sensation brutale de réveil (ou de sommeil?) en sursaut que passent pour provoquer les hypnotiseurs (et il s'agit bien en effet d'une espèce de passe rapide). Dans le cours uni d'une phrase, Breton s'entend à merveille à conjurer de ces révoltes sporadiques, à souligner — avec le maximum de scandale s'entend — cette intrusion incivile du mot nu qui soudain nous tire par la manche, nous contraint à nous frotter les yeux et instantanément à perdre pied. Dans une phrase comme celle-ci :
     
    «Que voilà donc un récit qui tourne court! Un personnage n'est pas plutôt donné qu'on l'abandonne pour un autre — et, qui sait même, pour un autre? À quoi bon, dès lors, ces frais d'exposition? Mais l'auteur, qui paraissait avoir entrepris de nous livrer quelque chose de sa vie, parle comme dans un
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